Le principe des 8 séquences aident à résoudre un problème majeur des histoires à savoir que toute histoire est un stratagème dont le but est de la faire aller de l’avant. Or ce stratagème dont l’auteur est le maître d’œuvre ne doit pas transparaître dans son histoire.
L’action se déploie devant les yeux du lecteur et elle doit paraître spontanée, naturelle. Elle doit montrer que tout peut arriver et que finalement ce qui arrive est inévitable et ainsi se montre satisfaisante pour le lecteur. Les événements dans un récit doivent se succéder selon un lien de causalité, les coïncidences et les hasards (hors de l’incident déclencheur) ne sont pas crédibles et dévalorisent l’intrigue et l’histoire tout entière, surtout si ce sont des hasards heureux qui viennent débrouiller une situation inextricable (pour l’auteur, tout au moins).
Avant d’atteindre la résolution de l’histoire, les séquences qui la composent posent chacune une question dramatique qui viennent s’ajouter à la tension générée par l’histoire elle-même. Chacune de ces questions a la particularité de proposer au lecteur la possibilité de plusieurs issues quant à la nature de la résolution.
Ce qu’il se passe dans une histoire est différent de ce que veut ou souhaite le protagoniste. Si un homme tombe amoureux fou d’une femme, le problème n’est pas de se demander comment remplir une centaine de pages du scénario à décrire comment il réussira ou non à la conquérir.
La nature humaine étant ce qu’elle est et le plus court chemin étant toujours le meilleur, il est fort probable que cet homme aura sa réponse en tout au plus une quinzaine de pages. La quête de cette femme occupe tout l’acte Deux. En effet, le premier acte nous présente l’homme, son monde ordinaire et l’incident déclencheur de cet amour fou. L’acte Trois sera consacré à la résolution des problèmes et les dernières pages à ce qu’est devenu la vie de cet homme (en supposant qu’il est le personnage principal) après tout ce qu’il a vécu ou plutôt enduré au cours du récit.
Donc la quête elle-même prend naturellement place dans l’acte Deux. Or, un acte Deux de 15 pages est manifestement très insuffisant (pour un scénario de 90 pages, il doit en occuper les deux tiers soit 60 pages).
C’est dans ce type de problématique que le découpage en 8 séquences prend tout son sens. Il est possible en effet de déjouer ce qui est vraisemblable et inévitable en développant dans les séquences des événements crédibles qui viennent retarder la réponse à la question dramatique de savoir s’il réussira ou non à emporter le cœur de cette femme.
Dans Etre dans la peau de John Malkovitch écrit par Charlie Kaufman et dirigé par Spike Jonze, Craig est très attiré par Maxine qui reste indifférente. Il veut cependant la posséder. La femme de Craig, Lotte, a des désirs de transsexualité et tombe amoureuse de Maxine. Mais Craig ne désarme pas. Il parviendra à posséder Maxine probablement pas de la façon qu’il espérait mais indirectement en étant dans la peau de John Malkovitch.
Les développements de l’intrigue ont permis à Craig d’obtenir finalement ce qu’il voulait avec Maxine mais cela a nécessité qu’il soit poussé hors de ses limites pour y parvenir. Une action s’est complexifiée afin d’obtenir les qualités dramatiques nécessaires aux histoires.
Les 8 séquences
La séquence A
Les 15 premières pages (d’un scénario de 120 pages) sont dédiées à l’exposition. Juste avant que les questions de qui, de quoi, d’où, de quand ne trouvent des éléments de réponse, il est nécessaire d’accrocher le lecteur pour l’inciter à continuer sa lecture.
Un auteur y parvient généralement en piquant la curiosité du lecteur. Cela permet de soulever des questions dans son esprit dans l’expectation d’une réponse.
Lorsque le lecteur est accroché, l’exposition peut alors commencer à mettre en place les éléments dramatiques nécessaires à la compréhension de l’histoire. Habituellement, le personnage principal nous est présenté dans sa vie de tous les jours avant que celle-ci ne soit bouleversée par la suite du récit. Ce statu quo préalable ne nous montre pas le protagoniste sous son meilleur jour.
Dans Her de Spike Jonze, Théodore ne s’est toujours pas remis de la séparation d’avec sa femme. Non seulement, il refuse de signer les papiers du divorce dans un acte de déni qui s’est transformé en une véritable dépression même si cette dépression nous est présentée plutôt comme une blessure interne douloureuse.
Les événements qui suivront cette exposition sont donc destinés à modifier fondamentalement le statu quo d’une vie qui n’apporte pas de satisfactions particulières au personnage principal du récit.
A partir du matériel que vous a donné votre travail sur la création de vos personnages, il vous faut élaborer une vie d’avant les événements suffisamment intéressante pour que les événements qui vont venir s’immiscer dans cette vie aient suffisamment d’impact.
Cette vie d’avant les événements à tout à gagner si vous développez de manière approfondie l’aspect émotionnel de votre personnage. Le lecteur ressentira avec d’autant plus de force le côté déstabilisant des événements qui viennent déranger le quotidien du personnage principal si celui-ci est émotionnellement atteint par les conséquences de ces événements.
Généralement vers la fin de la première séquence se produit l’incident déclencheur. C’est le point d’attaque de l’intrigue. Pour Roger Thornhill de La mort aux trousses, l’incident déclencheur est son enlèvement suite à la méprise de ses ravisseurs. Pour Jake Gittes de Chinatown, ce moment est lorsqu’il réalise qu’il a été dupé.
La séquence B
Les 15 pages suivantes entraînent la fin de la séquence B a approximativement 25 % de votre scénario ce qui correspond à la fin de l’acte Un. La fonction principale de cette séquence B est de poser la question centrale de l’histoire ce qui induira de ce fait une tension dramatique principale (des tensions secondaires seront émaillées dans le reste du récit).
Cette seconde séquence montre assez souvent le protagoniste introduit lors de la première séquence se débattant contre les éléments perturbateurs eux-mêmes introduits lors de la séquence précédente. Le protagoniste est assez confiant dans l’issue des problèmes qu’il rencontre et pense retrouver assez rapidement un équilibre dans sa vie mais sa destinée sera toute autre.
Quelque soit que mette en œuvre le personnage au cours de cette seconde séquence ne fait que rendre sa situation encore plus délicate. A la fin de la séquence B qui marque donc la fin du premier acte, la tension principale de l’histoire qui se maintient tout au long de l’acte Deux est instaurée.
Dans Chinatown par exemple, Jack Gittes au cours de la séquence B essaie de faire la lumière sur qui l’a engagé et pourquoi et finit d’ailleurs par être engagé par la vraie Madame Mulwray après que son mari soit retrouvé mort.
La séquence C
Cette séquence qui occupe les pages 30 à 45 du scénario nous permet de découvrir que le protagoniste essaie de résoudre le problème posé à la fin de l’acte Un. Comme la plupart d’entre nous, il tente la solution la plus facile en espérant que son problème trouvera ainsi une solution immédiate.
Il s’avère en fait que la résolution d’un problème en entraîne un autre encore plus ardu à surmonter. Ceci n’est possible que si les problèmes sont reliés entre eux par un lien de cause à effet.
Dans Midnight Run de George Gallo, Jack Walsh doit retrouver et ramener Jonathan « le Duc » Mardukas de New York en Californie pour que Eddie Moscone puisse récupérer la caution de 450 000 dollars qu’il a versée pour Mardukas.
Dans l’impossibilité de prendre l’avion, Jack Walsh décide de prendre le train. Mais cette action est entravée par l’un de ses concurrents, chasseur de primes aussi. En effet, Eddie Moscone s’impatientant du manque de résultat de Jack a mis aussi Marvin Dorfler sur la trace du Duc.
Jack finit donc par prendre le car mais celui-ci est attaqué à la fois par la mafia et le FBI forçant ainsi Jack à emprunter une voiture.
Comme vous le constatez, les moyens de transport à la disposition de Jack s’amenuisent de Charybde en Scylla rendant plus difficile à chaque fois l’objectif de Jack qui est de ramener à bon port Jonathan.
La séquence D
La séquence D s’étend des pages 45 à 60 soit le point médian d’un scénario de 120 pages. Cette séquence a la particularité de montrer que la première tentative pour résoudre la question principale de l’histoire (c’est-à-dire le problème du protagoniste) échoue.
Il y a cependant une astuce dramatique qui consiste à utiliser le point médian comme un miroir inversé. Si le point médian est négatif pour le héros, alors l’issue du problème sera bénéfique pour lui, c’est le cas le plus souvent rencontré. Si inversement, le point médian est positif, alors l’issue, sans nécessairement être fatale pour le héros, sera cependant négative.
Dans le cas général donc, la séquence D est un moment douloureux pour le protagoniste. Il est amené à prendre une ou plusieurs mesures désespérées pour essayer de retrouver un équilibre dans sa vie. Mais ces mesures sont de toutes façons illusoires car en pénétrant dans l’intrigue, un point de non retour pour le personnage est désormais depuis longtemps dépassé. Il n’a plus aucune chance de retrouver la moindre once de stabilité dans sa vie et ne peut aller que de l’avant.
Le point médian est très malin parce qu’il donne au lecteur la possibilité d’entrevoir la réponse à la question dramatique centrale du récit. Le héros l’a à portée de main. C’est enfin la réponse qu’il cherchait et le lecteur éprouve un véritable espoir pour le protagoniste et l’encourage plus que jamais pour s’apercevoir en fin de compte que l’histoire prend un tout autre chemin que celui qu’il avait espéré.
Dans Tootsie, Michael Dorsey est au sommet de sa carrière au point médian. Mais c’est un mensonge puisque c’est Dorothy et non Michael Dorsey qui connaît la gloire. Cependant, Michael ne profite pas de cette gloire par intérim parce que ce mensonge dans lequel il vit l’empêche de vivre pleinement l’amour qu’il a pour Julie.
Il est très perturbé de ne pouvoir s’accomplir pleinement avec Julie, connait de nombreux doutes et est proche de la dépression. Le point médian pour Dorsey nous le montre vraiment au plus bas.
La résolution de ce conflit entre Michael et Dorothy dans l’acte Trois nous montre Michael dans une situation inverse du point médian. Sa carrière à la télévision est fichue mais dorénavant, il ne vit plus dans le mensonge et peut ouvertement déclarer et vivre son amour pour Julie.
La séquence E
La séquence E est le lieu où les intrigues secondaires prennent place. Ce n’est pas une obligation. S’il n’y a pas d’intrigues secondaires, alors la séquence E continue de donner au lecteur des espoirs sur la réussite ou bien des convictions sur l’échec du héros à atteindre son objectif.
Les événements qui se produisent après le point médian, le premier point culminant (positif ou négatif) pour le héros, sont généralement moins profonds vis-à-vis de la question centrale du récit. D’où peut-être la nécessité pour un auteur d’inclure ici une intrigue secondaire ou B Story.
Il n’y a pas de révélation ou de revirements de situation comme dans la séquence précédente avec les événements qui se produisent au cours de la séquence E. Cependant de nouvelles opportunités voire même un nouveau personnage (une arrivée à bien penser parce qu’elle peut rendre confus le lecteur) peuvent venir interférer et dérouler l’histoire autrement pour éviter que l’action ne soit pas trop téléphonée.
Il est intéressant de noter aussi que le point médian à la fin de la séquence D permet souvent au protagoniste de découvrir la nature exacte de son objectif ultime. Non pas qu’il l’ignorait jusqu’à présent, mais cet objectif était indistinct, confus dans son esprit. La force du point médian agit alors comme une révélation pour le héros. Cela lui permet d’ouvrir grand les yeux sur ce qu’il doit accomplir.
Dans Boulevard du Crépuscule de Billy Wilder, Charles Brackett et D.M. Marshman Jr., Joe Gillis travaille sur Salomé, le scénario pour Norma Desmond avec dans l’idée de se libérer de la dépendance qu’il a envers Norma. Une dépendance essentiellement financière toute orchestrée par Norma Desmond, ancienne gloire du muet qui espère un retour par le biais de Salomé que Gillis est en train de lui écrire.
Mais aussi de la possession de Norma qui n’hésita pas à lui déclarer son amour un 31 décembre. Norma a depuis longtemps perdu le sens de la réalité et son esprit erre à tout jamais dans les limbes d’un passé imprimé sur des pellicules en acétate. Une déclaration d’amour un 31 décembre est en effet tout droit sorti de l’imagination d’un scénariste depuis longtemps oublié.
Au point médian, Norma tente de se suicider. Gillis revient en catastrophe auprès d’elle et malgré les efforts de Betty, que Gillis a rencontrée lors d’une fête chez un ami et qui s’est montrée intéressée par son travail, d’éloigner Gillis de Norma, celui-ci reste auprès de l’ancienne gloire du cinéma muet.
Le retour de Gillis auprès de Norma, les efforts de Betty pour l’éloigner de Norma et les compromis et conflits de Gillis pour rester auprès de Norma occupent toute la séquence E.
Comme pour toutes les autres séquences jusqu’à présent, la résolution de la séquence E n’apporte pas de réponse au problème majeur du personnage principal mais ne fait que créer de nouvelles complications plus difficiles à surmonter avec des enjeux encore plus élevés.
Pour compléter ce paragraphe, nous vous conseillons la lecture de ces deux articles :
La séquence F
Cette séquence marque la fin du second acte qui a lieu à la page 90 d’un scénario de 120 pages. Ayant épuisé toutes les solutions alternatives possibles, le personnage principal s’attaque enfin à la résolution de son problème. La fin de la séquence F est un second point culminant pour le héros (le premier est le point médian) qui permet au lecteur d’appréhender l’issue de l’histoire, ou du moins à ce moment de l’histoire, une solution possible.
Ce second point majeur du récit peut fonctionner comme le point médian. S’il donne une valeur négative à l’issue envisagée pour la fin de l’histoire, le personnage aura réussi sa quête (mais cela ne décrit pas ce que seront les conséquences de cette réussite pour le héros). Si la valeur est positive, il y a alors de fortes chances que la quête ne soit pas réalisée (et là aussi les conséquences de cet échec ne sont pas décrites, c’est le rôle de l’acte Trois d’apporter ces informations au lecteur).
Dans Boulevard du Crépuscule, ce second point culminant correspond au moment où Joe et Betty s’embrassent, c’est à ce moment que leur relation est au plus haut.
Sachant quelle est la fin de cette histoire, cette séquence F et son point culminant sont exactement inversés par rapport à la résolution où l’on voit que Joe a tout perdu et se retrouve sans vie flottant la tête en bas dans la piscine.
Cependant, il n’est pas vraiment nécessaire que ce second point médian soit un point bas dans l’aventure du héros pour que l’issue soit heureuse. Alors que l’effet miroir offre de nombreuses possibilités dramatiques lorsqu’il s’applique au point médian, il est plutôt réducteur en termes de créativité lorsque la fin de l’acte Deux se résout sur un aspect négatif pour le personnage principal. La résolution de la séquence F est bien plus utile au récit lorsqu’elle examine plus en profondeur la question centrale de l’histoire.
Pour apporter un éclairage nouveau sur le message qu’un auteur tente de faire passer, il est alors préférable de concevoir une scène qui expliquerait un point particulier du thème ou du sujet afin de faire accepter la fin de l’histoire ou d’apporter quelques éclaircissements sur la réponse qu’elle apporte à la question dramatique principale.
La séquence G
La résolution de la séquence F (comme toutes celles qui l’ont précédée) n’apporte pas de réponse à la question centrale du récit. La séquence F a relâchée la tension autour de la relation entre Joe et Betty mais n’apporte toujours pas de réponse quant à la fin de l’histoire.
Des conséquences inattendues peuvent survenir de la résolution de la séquence F, selon le principe de causalité nécessaire entre les événements (du moins en ce qui concerne un scénario si on décide de voir les choses ainsi). Des causes pourraient être en suspens attendant leurs effets qui s’expriment ainsi dans la séquence G.
Ces effets tardifs peuvent amener de nouveaux défis et problèmes toujours plus difficiles à vaincre et même forcer le personnage à reconsidérer son objectif. Le cours de l’histoire prend un cap nouveau et inconnu, la perspective que nous avions sur elle est maintenant différente.
La séquence G est aussi la séquence où les enjeux n’ont jamais été aussi élevés. Le rythme s’accélère et sa résolution est souvent caractérisée par un revirement majeur de la situation. C’est ce moment qu’on nomme habituellement le climax.
La séquence H
La dernière séquence contient invariablement la résolution. La résolution de l’histoire est enfin le moment où l’instabilité dans la vie du héros initiée lors de l’incident déclencheur, c’est-à-dire le point d’attaque de l’intrigue, cesse enfin.
La tension principale du récit est enfin relâchée. Les solutions possibles envisagées lors du premier point culminant, c’est-à-dire le point médian, et lors du second point culminant (à la fin de l’acte Deux c’est-à-dire lors de la résolution de la séquence F) ont permis au lecteur d’entrevoir la destinée possible du héros, un destin qui est enfin confirmé au cours de la séquence H. Même chaque résolution de séquence ont permis d’orienter le personnage principal vers cette solution (pour le meilleur ou pour le pire), il s’agit de la réponse à la question dramatique centrale posée par l’histoire.
Par exemple, dans Tootsie, Michael a réussi à conquérir le cœur de Julie ou bien dans Chinatown, Jack sera condamné à ne jamais rester auprès d’Evelyn puisque celle-ci sera tuée.
La séquence H a pour mission aussi de clore tout ce qui est restée en suspens (les intrigues secondaires) et de montrer ce qu’est maintenant devenu la vie du héros après toute son aventure. Cette nouvelle vie présentée comme un épilogue à l’histoire est destinée à emporter la satisfaction du lecteur car même si l’évidence de cette nouvelle vie ne fait aucun doute, il est nécessaire de l’asseoir définitivement dans l’esprit du lecteur.
J’espère que vous avez été jusqu’au bout de cet article. Je l’ai révisé et il est vrai qu’il semble un peu difficile d’accès. Il faut admettre le principe de ces huit séquences. C’est une formule comme une autre destinée à guider notre créativité. S’il vous plaît, si vous pouviez penser de temps à temps à soutenir Scenar Mag avec un don de quelques euros, non seulement, vous nous permettriez de persévérer à vos côtés en vous donnant le plus d’informations pertinentes possibles pour vous aider à finir vos projets d’écriture mais surtout aussi pour en faire beaucoup d’autres.
Ne restez pas indifférents devant cette initiative de partage de connaissances. Participez. Faites un don. Merci
Franchement, ne t’excuse pas de la longueur, c’est au contraire un super guide pour le scénario complet, un résumé immensément utile
merci!