La suite de notre série de cours sur l’arc dramatique de votre personnage. Nous avons vu précédemment que l’action menée par un personnage guide et fait avancer l’intrigue.
Votre personnage veut ou désire quelque chose. Il agit pour l’obtenir mais rencontre des obstacles sur son chemin qui l’empêche d’obtenir ce qu’il veut ou désire. L’action ou la réaction (ou les paroles) du personnage vont alors aller dans le sens d’une résolution (si possible) du conflit généré par la rencontre entre le protagoniste et l’obstacle (ou l’épreuve).
Mais vous ne pouvez pas faire agir ou réagir votre personnage au gré de n’importe quelle muse. En effet, la manière dont va répondre votre protagoniste à chaque obstacle ou conflit ou épreuve qu’il devra affronter doit révéler quelque chose sur sa personnalité ou du moins quelque chose de légèrement différent de ce que vous avez déjà révélé sur lui au cours des conflits précédents.
En dévoilant progressivement l’intériorité de votre personnage au fur et à mesure des épreuves, vous maintenez l’intérêt du lecteur envers lui. Ces révélations nourrissent le lien empathique entre le lecteur et votre personnage jusqu’à la conclusion de votre histoire.
Qu’est-ce que ce lien empathique ?
L’identification du lecteur avec un personnage ou les situations dans lesquelles il se trouve est fondamental à la réussite d’un scénario. L’auteur invite le lecteur à participer mentalement à son histoire. Souvenez-vous que le scénario est un outil de travail dédié à un média visuel et sonore. Le lecteur se trouve immergé dans un univers d’images et de sons. Il y est entraîné par un personnage. Lorsque celui-ci prend les bonnes décisions, le lecteur s’en félicite et dans le cas contraire, il s’inquiète pour lui.
Le lecteur est émotionnellement engagé avec le personnage, il s’identifie au personnage. Woody Allen à sa façon a traduit dans La Rose Pourpre du Caire ce processus avec Cécilia qui devient elle-même un élément dramatique du film dans le film.
Il existe différentes techniques pour créer une connexion, un lien entre le lecteur et l’histoire :
1) Un lien physique
Principalement, le récit adopte le point de vue du personnage pour décrire les événements.
Conseils de lecture :
LE POINT DE VUE SUBJECTIF DE VOTRE PERSONNAGE
2) Un lien émotionnel
Ce lien est obtenu en créant des personnages et des situations qui génèrent de la sympathie ou du danger et qui soient suffisamment universels pour faire écho parmi le plus grand nombre de lecteurs.
Le lecteur est naturellement attiré par des personnages qu’il trouve attrayants qu’ils soient drôles, puissants, rusés, charmants (ou simplement agréables à regarder), accueillants ou chaleureux.
Lorsqu’un personnage est créé avec quelques-uns de ces attributs, le lecteur souhaite s’en rapprocher et il s’accroche au personnage. C’est une réaction purement émotionnelle basée sur l’apparence et les comportements du personnage.
3) Un lien moral
Les conflits de valeurs sont au cœur des histoires. Ces valeurs ont un écho universel afin d’être comprises et reconnues par le plus grand nombre (par exemple, le bien contre le mal).
Ces conflits ont une importance capitale car ils décrivent le thème ou le message de votre histoire. Dans La Vie est belle (1946) de Frances Goodrich, Albert Hackett, Frank Capra et Jo Swerling, d’après la nouvelle The Greatest Gift de Philip Van Doren Stern, deux systèmes de valeurs opposés sont à l’œuvre : la cupidité et la tyrannie incarnées par Potter, la démocratie et la bonté personnifiées par George Bailey.
La prémisse morale de cette histoire pourrait être :
L’égoïsme mène à une vie misérable mais le don de soi et la générosité mène à une vie merveilleuse (It’s a wonderful life, le titre original de La vie est belle).
L’histoire est alors articulée autour des conflits de valeurs entre Potter et Bailey pour décrire la prémisse morale de l’histoire.
C’est par le conflit de valeurs que le lecteur se trouve engagé dans l’histoire que ce soit par les valeurs en jeu ou que le conflit lui-même interpelle le lecteur et qu’il se reconnaisse dans ce combat.
Imaginez un banquier intransigeant et un père de famille qui quémande un peu d’argent pour nourrir ses enfants. Vous pourrez alors percevoir et ressentir viscéralement la nature du conflit qui oppose les deux hommes.
Une expérience pour le lecteur
Dès que le lecteur est engagé, qu’il a compris les systèmes de valeur qu’on lui expose, il peut alors s’identifier aux différents personnages et ce faisant, il est capable de faire son propre choix moral.
Le lecteur n’est plus passif dans l’histoire. Par l’engagement, il éprouve l’histoire, il en fait l’expérience.
Conseils de lecture :
LA PREMISSE DE VOTRE HISTOIRE SELON LAJOS EGRI
L’arc dramatique de votre personnage prend sa source dans les réactions émotionnelles de votre personnage. Vous traduisez celles-ci en montrant comment agit et réagit votre personnage aux événements.
Les réactions émotionnelles du personnage se nourrissent de son inconscient, de sa vraie nature. L’évolution psychologique du personnage (son arc dramatique) se nourrit à son tour des réactions émotionnelles qui aboutissent (au fur et à mesure des leçons qu’apprend le personnage face aux épreuves) à faire de lui un être différent.
Cette transfiguration se fait progressivement tout au long de l’aventure. Ce sont des prises de conscience (plus ou moins importantes selon les obstacles) qui permettront au personnage de se révéler des choses sur lui-même.
Il est possible de décomposer en 5 étapes le processus de transformation du personnage (sa métamorphose en quelque sorte) de cette façon :
1) Une prise de conscience
Le personnage prend conscience qu’il doit changer de comportement ou se réinventer en quelque sorte pour affronter et répondre au conflit. Par exemple, le personnage peut comprendre qu’il doit transgresser certaines règles qu’il considérait tabou pour surmonter l’obstacle qui se dresse devant lui.
Clark Kent transgresse les interdits de son père en réalisant des exploits que sa vraie nature lui permet. Cependant, la véritable prise de conscience a lieu au moment de l’épisode de la tornade lorsque son père d’adoption est tué en lui défendant de dévoiler ses vrais pouvoir aux terriens (Man of Steel).
2) L’acceptation
Le personnage est émotionnellement prêt (cela ne lui causera aucun malaise ou trouble) pour commencer sa mutation. Après la prise de conscience douloureuse survenue après la mort de son père adoptif, Clark Kent accepte sa vraie nature, qui il est vraiment. Mais ce n’est qu’un début.
L’acceptation est le début du voyage pour le héros, un parcours initiatique qui fera de lui un autre être.
3) L’approche du problème
Le personnage entre alors dans un véritable processus de résolution de son problème. Il va devoir prendre une décision stratégique dont il sait qu’elle influera sur sa vie. Cette décision ne se fera pas d’un simple claquement de doigt.
Dans Secret de Jay Chou et Chi-long Pour, Ye Xianglun (le protagoniste) a une dernière confrontation avec son père avant de prendre la décision cruciale de rejoindre Lu Xiaoyu (son amour).
Cette décision est le fruit de cet amour grandissant. Elle est la conclusion de son voyage depuis l’acceptation jusqu’à la confrontation avec son père et la révélation du besoin de Lu Xiaoyu auprès de lui (ce qui le pousse à tout abandonner pour la rejoindre).
Le problème pour Ye Xianglun est de choisir entre sa passion pour la musique (et de là, sa carrière) et l’amour de Lu Xiaoyu.
La décision de tout abandonner pour rejoindre Lu Xiaoyu est la conclusion du choix qu’il a dû faire.
4) La planification de la décision
Une fois que la décision est prise, le personnage doit planifier comment il va la mettre à exécution. On assiste donc à partir de ce moment à une préparation (dans l’exemple de Ye Xianglun, il s’agit de retourner le plus rapidement possible dans la vieille salle d’étude qui est sur le point d’être détruite puis de jouer au piano la partition enchantée).
5) L’action
C’est la réponse apportée au problème sous la forme d’actions.
La mue du serpent
A chaque fois que le personnage parcourt les 5 étapes, il se produit un changement majeur dans sa personnalité. Les modalités de ce changement consiste à se débarrasser d’un trait de caractère, de croyances, de valeurs devenues obsolètes et les remplacer par d’autres.
Le personnage s’est métamorphosé. C’est comme la mue du serpent qui se débarrasse de sa peau tout au long de sa croissance.
Ce que nous venons de vous expliquer est un moyen comme tant d’autres de décomposer comment un personnage apporte une réponse émotionnelle à un conflit.
Cette réponse ne s’applique pas seulement au conflit ultime, à celui qui résout votre histoire. Dès qu’il y a conflit (au niveau d’une séquence ou même d’une scène), la réponse doit être justifiée sous un angle émotionnel et le cycle des 5 étapes décrit ci-dessus peut vous y aider.
Notez aussi que ce cycle peut prendre plusieurs pages comme seulement quelques lignes de dialogue.
Lorsque la cinquième étape (l’action) est accomplie, le personnage doit plonger un peu plus profondément en lui, révélant un peu plus de lui-même. C’est comme si les différentes couches qui le recouvrent sont pelées à chaque action. Chaque action doit être pénible pour le personnage. La difficulté s’accroît d’ailleurs au fur et à mesure que l’intrigue se déroule et plus l’épreuve est difficile, plus le personnage se découvre.
Il est intéressant de considérer aussi que plus l’épreuve est difficile forçant ainsi le personnage à plonger plus profondément en lui, plus il montrera de résistance au changement. C’est un conflit interne qu’il devra surmonter.
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