On confond souvent l’histoire et son intrigue. Pourtant, une bonne histoire l’est d’abord par son intrigue. Et dans celle-ci, l’un des facteurs les plus précieux, est bien sûr les personnages.
Qu’est-ce qu’une intrigue, au fond ?
C’est un arrangement d’événements. Arrangement est le terme à employer parce qu’effectivement les événements sont organisés selon un effet recherché.
Il y a un but à accomplir et les événements inventés par l’auteur sont orientés vers cet accomplissement.
D’ailleurs, les leçons que tirera le personnage principal des épreuves qu’il connaîtra au cours de l’intrigue ont pour finalité de le changer ou bien de le raffermir.
On construit son intrigue selon une intention bien précise. L’intrigue est conçue de telle manière qu’elle aboutisse à un climax, c’est-à-dire une ultime épreuve qui porte d’après son résultat le message que l’auteur entend communiquer. Le dénouement n’est que le constat des conséquences du climax.
Une intrigue fonctionne selon une loi de causalité. Un événement en entraîne un autre. Certes, il y a une succession d’événements mais ceux-ci sont liés. Structurellement, cela apporte du sens à l’histoire. Cette relation singulière de cause et d’effet est non seulement un des moteurs de l’intrigue mais elle assure aussi que le lecteur comprenne l’action parce qu’il peut apprécier comment les événements s’articulent.
Nous observons l’action et nous comprenons pourquoi elle a lieu. Que l’histoire soit linéaire (les événements surviennent selon une chronologie exacte) ou non linéaire lorsque les événements ne sont soumis à aucune contrainte de temps et apparaissent presque aléatoirement (c’est le cas pour Pulp Fiction, Citizen Kane, Annie Hall ou Rashomon par exemple), la causalité explique les choses.
Dans une intrigue non-linéaire, la relation de cause à effet est maintenue selon des séquences (même si celles-ci sont triturées lors du montage). Les événements à l’intérieur d’une même séquence sont nécessairement liés afin d’emmener la séquence vers son propre climax.
Des nœuds dramatiques relient les séquences et le tout combiné permet au lecteur de suivre et de comprendre l’intrigue.
La relation de causalité aide non seulement à mettre en place les situations conflictuelles mais aussi à caractériser davantage les personnages. Cette relation décrit non seulement les conséquences des événements mais aussi les décisions et les choix des personnages face à ces conséquences.
Un destin tracé
Il est certain que le devenir d’un personnage est déjà tracé. D’abord dans l’imaginaire de l’auteur. Ensuite, rétrospectivement, par le lecteur au moment du dénouement.
C’est ainsi que l’auteur envisage d’emblée l’effet qu’il souhaite faire éprouver à son lecteur à la fin de son histoire. Puis il crée à rebours les événements qui mènent à cet effet recherché.
Par exemple dans Reflets dans un œil d’or de John Huston, si l’on considère la destinée individuelle des personnages, ils semblent psychologiquement si réels que l’on pourrait croire qu’ils se suffisent à eux-mêmes, qu’ils n’ont nul besoin d’une intrigue pour qu’il leur soit donné du sens.
Mais lorsqu’on lie ensemble toutes ces personnalités si fouillées, l’inéluctabilité du climax est évidente. Comme si les personnages étaient prédestinés à cette résolution.
L’intrigue, c’est aussi du conflit. C’est une lutte entre des forces opposées (des idées, des intérêts divergents, des volontés contraires). Pourquoi le conflit ? S’il semble si essentiel à la fiction, c’est en réponse à cette tendance naturelle de savoir chez l’autre qui de l’autre ou de l’adversité l’emportera.
C’est une sorte de curiosité intellectuelle accompagnée d’un sentiment de satisfaction ou de joie et peut-être aussi de schadenfreude, cette joie malsaine que l’on éprouve dans le malheur et les souffrances d’autrui.
Le succès du conflit tient au fait que le lecteur/spectateur vit des expériences terribles par personnage interposé. Mais il veut aussi comprendre la nature du conflit. Il veut lui donner un sens. Le lecteur/spectateur accepte rarement la violence pour elle-même. Nous distinguons deux types de conflit : interne et externe.
La nature du conflit
Un conflit psychologique ou interne survient dès qu’un personnage est la proie de deux émotions ou désirs contraires tels que la vertu ou le vice, le bien ou le mal.
Notez que ces opposés décrivent une même chose comme s’ils étaient l’avers et le revers d’une même pièce. Cette disharmonie apparente est une souffrance mentale.
L’arc dramatique du personnage est presque paralysé par ce débat interne que le personnage se livre à lui-même. S’il veut continuer à progresser, il lui faudra dépasser et résoudre ce conflit. Par exemple, Christopher Marlowe a décrit un tel sentiment conflictuel dans son Faust. Faust est d’une nature ambitieuse.
Et bien qu’il soit reconnu de ses pairs, cela ne lui suffit pas. Il signe donc un pacte avec Lucifer en échange d’un pouvoir ultime sans restriction ni interdiction. Faust s’initie à la goétie et défie les valeurs chrétiennes.
Mais bientôt, Faust éprouve des remords. Un conflit s’installe en lui et il pense sincèrement au repentir. Ce conflit s’incarne entre le bon et le mauvais ange.
La résolution du conflit voulue par Marlowe est que le diable emporte l’âme de Faust aux Enfers. Le mal était trop puissant chez Faust. Et nous ressentons face à cette conclusion une satisfaction.
Le conflit externe est plus facile à illustrer. Il est souvent le lieu d’une action dans laquelle le personnage se retrouve en lutte contre des forces extérieures qui tentent d’entraver son avancée. Ces forces externes sont bien souvent le fait de l’antagoniste.
Ne pas digresser de son intrigue consiste donc schématiquement à mettre en relation les actions d’une lutte entre deux forces opposées (comme deux fonctions contraires telles celles de l’antagoniste et du protagoniste) puis de faire en sorte que ces actions progressent vers un climax et une résolution.
Ce climax et cette résolution justifie l’œuvre car c’est par le climax que l’auteur peut communiquer son message. L’ordonnancement des événements, la causalité et le conflit contribuent ensemble à la réception de l’histoire par le lecteur comme elle se déroule toute embuée de tension dramatique jusqu’au climax.
L’émotion au cœur de l’intrigue
Créer un flux émotionnel est difficile. Pourtant, ce flux devrait exister sur la page. C’est par l’émotion que nous nous rapprochons des autres. Quelqu’un souffre, nous ressentons de la peine aussi par sympathie. Quelqu’un est heureux, nous ressentons aussitôt de la joie.
Notre condition humaine est faite d’émotions. S’il est possible de transcender nos différences, ce sera par l’émotion. Et si nous essayons d’expliquer qui nous sommes, ce que nous ressentons sera suffisant si nous le manifestons dans nos comportements, attitudes, postures.
Les mots deviennent inutiles parce que s’ils ne sont pas trompeurs, ils sont alors incapables de dire l’émotion.
Certes, l’intrigue est une succession d’événements. Mais elle est surtout une succession d’émotions. Par les réactions émotionnelles des personnages, nous sommes plus profondément entraînés dans l’histoire. C’est par ses émotions que nous pouvons comprendre les motivations d’un personnage et surtout que nous pouvons nous reconnaître en elles facilitant ainsi notre identification avec ce personnage.
L’émotion ajoute à l’authenticité d’un personnage. Elle nous explique aussi les enjeux en pointant vers ce qui est important pour le personnage. Elle peut aider aussi à véhiculer le thème et probablement mieux que l’action.
Le conflit sans émotion n’est pas très attrayant. Nous avons besoin de voir et là, devant nous, sans chercher d’autres interprétations, nous constatons l’effet de ce conflit sur les personnages.
En révélant les émotions de ses personnages, l’auteur touche émotionnellement son lecteur.
LES ÊTRES FICTIFS : CRÉÉS OU DÉCOUVERTS ?
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