Le manque d’enjeu dans une scène est probablement l’un des défauts les plus communs dans un scénario. Le personnage principal apparaît dans la majeure partie des scènes. Et lorsqu’il est absent, c’est parce que cela est nécessaire à l’histoire.
Dans chacune des scènes où il survient cependant, il doit y avoir quelque chose qui représente un enjeu pour lui. Car si cet enjeu est éludé, il en résultera des dialogues prenant l’apparence d’une conversation anodine, sans conséquence (en d’autres termes, de l’espace perdu).
Après le premier jet du scénario, faites le tour de vos scènes et tentez de repérer celles qui ne contiennent aucun enjeu. Il ne sera pas nécessaire de les supprimer mais de les retravailler.
Cet enjeu n’est pas seulement le fait d’un protagoniste et d’un antagoniste dans la même scène pas plus qu’il n’est la manifestation d’un personnage qui veut absolument quelque chose et un autre qui tente de l’en empêcher.
Cela y ressemble fortement cependant. Mais c’est beaucoup plus subtil. Il y a simplement quelque chose en jeu dans chaque scène.
Qu’est-ce que l’enjeu ?
Du point de vue pratique, l’enjeu est ce qui permet au lecteur de continuer à tourner les pages. Imaginez que votre héros soit tombé dans une fosse. L’histoire consiste à ce qu’il cherche à en sortir. Le lecteur observe ses efforts désespérés pour se sortir de cette situation embarrassante.
L’enjeu est alors les raisons qui font que le héros s’évertue à sortir de la fosse. En quelque sorte, l’enjeu est un étai de sa motivation à sortir du trou. Cet enjeu couvre non seulement toute l’histoire, mais aussi chaque acte, chaque séquence et chaque scène.
Globalement, le lecteur doit comprendre ce que le héros risque s’il ne se décide pas à prendre en charge son problème (dans notre exemple, à sortir de la fosse).
S’il ne sort pas de l’abysse, il rencontrera la mort (littérale ou symbolique ou métaphorique). C’est donc un enjeu de première importance puisqu’il y va de la vie du héros.
Ainsi, dans chaque scène doit s’infiltrer le sentiment que le protagoniste risque quelque chose d’aussi formidable que sa vie. Et c’est cet enjeu qui, imprégnant tout le scénario, engagera le lecteur dans l’histoire.
Tous les personnages sont concernés
On a l’habitude de décrire le problème du héros, sa motivation et donc ce qu’il risque dans cette histoire. Mais ce n’est pas suffisant pour insuffler le suspense partout.
Chaque personnage devrait avoir un problème ou un objectif qui lui appartient en propre.
C’est aussi une des conditions pour que le lecteur s’investisse dans une fiction. Il est nécessaire que la plupart des personnages si ce n’est tous ont quelque chose à risquer dans cette histoire.
Lorsqu’un auteur invente ses personnages, il faut qu’il imagine pour chacun d’eux ce qu’ils risquent de perdre au cours de l’intrigue. Chacun d’eux devrait avoir un but à défendre (ou au moins une position). Ou même une conviction.
Donc, il faut penser au-delà du protagoniste et de l’antagoniste et assigner à chaque personnage un problème ou un objectif mais avec un enjeu important. Si l’enjeu est insuffisant, c’est comme s’il n’y avait pas d’objectif. Donc le personnage perd en intensité et en légitimité.
La question du conflit
La première brique du conflit dans une fiction est le protagoniste. C’est lui qui possède un problème majeur dans sa vie (qui est d’ailleurs le problème que soulève l’histoire) et qu’il doit résoudre s’il ne veut pas mourir littéralement, symboliquement ou métaphoriquement.
Dans The Revenant, par exemple, de Alejandro González Iñárritu et Mark L. Smith, d’après Le Revenant de Michael Punke, ce que nous voulons savoir, c’est-à-dire la question dramatique centrale de l’histoire, c’est si Hugh Glass s’en sortira.
Et ce qui est en jeu, c’est littéralement sa vie. Si sa vie n’était pas en danger (et elle l’est dans pratiquement toutes les scènes), cette histoire manquerait probablement d’originalité.
Dans Vice-versa de Pete Docter, Meg Lefauve et Josh Cooley, la question dramatique est de savoir si Joie et Tristesse pourront regagner à temps le Quartier cérébral pour ramener l’équilibre dans l’esprit de Riley.
Notez au passage l’importance de la question dramatique dans l’élaboration des enjeux. Car si Joie et Tristesse échouent dans leur objectif, c’est carrément la santé mentale de Riley qui est en jeu.
L’enjeu est ce qui anime le protagoniste. Il le motive tout au long du scénario et en fin de compte fait avancer l’histoire (c’est d’ailleurs ce que l’on attend d’un protagoniste).
L’antagoniste
L’antagoniste est la seconde brique du conflit. Qu’est-ce qui motive celui que l’on nomme un peu hâtivement le méchant de l’histoire ?
Il est en opposition directe du protagoniste. Tout ce que fait l’antagoniste dans l’histoire est de s’opposer à l’objectif du héros.
C’est comme cela que l’on explique ses actes. N’est-il pas paradoxal dans ces conditions que l’on n’éprouve pas envers le méchant de l’histoire autant de compassion que pour le héros ? Car après tout, l’antagoniste a aussi un objectif à accomplir. Et s’il contrarie l’objectif du héros, c’est parce que ce dernier contrecarre l’objectif de l’antagoniste.
Eh ben non ! Nous ne sommes pas aussi ambiguë que cela. On supporte le héros parce que l’on se reconnaît en lui. C’est d’ailleurs davantage une question d’éthique que d’archétypes qui transcendent des émotions universelles.
Parce que ces émotions universelles entrent aussi en résonance avec nous lorsqu’on les perçoit chez l’antagoniste.
Dans La vie est belle, Potter veut s’accaparer tout Bedford Falls et faire le plus de fric possible. De son point de vue, ses actes sont tout à fait légitimes. Ils correspondent à ses croyances, à ses valeurs et à ses idéaux.
On ne peut lui en vouloir sauf que d’un point de vue moral, c’est inconvenant. Mais si Potter échoue, ce qui est en jeu pour lui, c’est son existence même, c’est-à-dire au-delà de la mort, l’existence de Potter qui retournera au néant.
L’incarnation de l’enjeu
Le moyen le plus passionnant pour représenter l’enjeu est de l’incarner dans un personnage. C’est le personnage qui dans le scénario personnifiera l’enjeu pour le personnage principal.
Mais aussi pour l’antagoniste. En fait, le protagoniste et l’antagoniste s’affronte pour ce troisième personnage.
Ils ont toujours leurs buts ou problèmes (le protagoniste a un objectif et l’antagoniste veut le contrer) mais il existe aussi ce troisième personnage qui devient crucial pour l’un comme pour l’autre.
Dans Piège de cristal, c’est exactement cela que représente Holly, la femme de McClane. Ainsi que Dalton dans Insidious de Leigh Whannell.
Et les autres ?
Tous les personnages devraient avoir un enjeu. Donc un problème ou un objectif supporté par un risque. Beaucoup de scénarios construisent un objectif puissant et incoercible pour le protagoniste mais oublient souvent les autres personnages.
Comme ils leur manquent ces qualités humaines de désirs et de besoins, ils apparaissent sans consistance, unidimensionnels. Ils manquent de crédibilité.
Plus gênant encore, lorsque ces personnages sont confrontés au protagoniste dans une scène, il y a forcément un déséquilibre entre les personnages et un manque de tension car, mis à part le héros, ils ne possèdent pas un objectif qui viendrait s’opposer à celui du héros.
Néanmoins, on ne peut leur imposer n’importe quel objectif. Il faut que celui-ci soit pertinent en regard non seulement de l’enjeu pour le protagoniste mais aussi relatif à l’un des thèmes évoqués par l’histoire.
Lorsque chacun de vos personnages possédera un objectif et un enjeu (qui renforce la motivation), il suffit de s’assurer que chaque scène rapproche ou éloigne ces personnages de leurs objectifs respectifs.
La question à se poser alors est de se demander ce qui est en jeu pour les personnages participant à la scène et comment cet enjeu spécifique répond à l’enjeu global de l’histoire.