L’évidence est que l’issue est inévitable. Dans There will be blood de Paul Thomas Anderson, la montée en puissance et la chute de Daniel Plainview se devine à travers toute l’histoire.
Il est inévitable aussi que Travis Bickle de Taxi driver ne peut aboutir qu’à la violence. Dans toute tragédie humaine, la chute est inhérente au récit.
L’élan dramatique désigne une dynamique de l’histoire, une progression dans laquelle le lecteur/spectateur d’une histoire va s’investir. On peut se représenter afin de s’en faire une idée, l’histoire comme un espace qu’il faut parcourir d’un point A à un point B.
Il est même d’ailleurs conseillé de connaître ce point B avant même d’imaginer un point A. Ce point B est l’effet que l’auteur voudrait obtenir sur son lecteur.
Inévitable ne signifie pas prévisible. Nous avons seulement une histoire qui pointe incessamment vers un moment final auquel elle ne peut échapper.
Construire un élan dramatique
Si on veut définir l’élan dramatique, nous pourrions encore prendre l’image de la ligne que l’on a tirée entre deux nœuds dramatiques et nous en avons lié les différents moments par des relations causales en cascade (mais pas nécessairement selon un ordre chronologique), par des actions successives et leurs conséquences.
Cela donne l’impression que l’histoire se meut inexorablement vers une conclusion appropriée à l’intention de l’auteur certes, mais surtout inévitable.
Une structure est nécessaire. Il faut poser un objectif. Il sera la conclusion. Cet objectif sera le point B et il nous faut l’imaginer dès l’abord parce que quand on souhaite se rendre quelque part autant savoir où l’on va. Cela nourrit la dynamique de l’histoire.
Il faut aussi éviter la digression. Tout ce qui n’entre pas dans l’histoire contée ralentit le mouvement. Tout objet dramatique nouveau doit contribuer à l’histoire qu’il soit conflit ou qu’il soit lui-même un récit dans le récit (lorsqu’un personnage raconte aux autres personnages ou même au lecteur ce qu’il lui est arrivé) qui possède alors son propre élan dramatique.
La chose qui compte, c’est d’être cohérent. Si on se lance par exemple dans des descriptions très détaillées (surtout en matière scénaristique) et que ces descriptions ne servent pas clairement le but narratif, vous cassez le rythme. Vous faites une pause dans l’histoire.
Et le lecteur profitera de cet arrêt volontaire du mouvement pour chercher de la signification là où il n’y en a pas.
Les descriptions sont nécessaires mais elles devraient être brèves et aller à l’essentiel. Ainsi, elles participent de l’élan, du rythme, de la progression.
Pour atteindre à l’effet de ce mouvement, il faut attirer l’attention du lecteur sur quelque chose qui se répète à travers l’histoire. Ce sera quelque chose qui change au cours de l’histoire.
Deux êtres qui se rencontrent créent une relation. Puis cette relation se développera. Au cours de l’histoire, nous reviendrons souvent sur l’état de cette relation. La voir ainsi changer au cours du temps spécifique de l’histoire, crée ce mouvement dont celle-ci a besoin.
Alien
Considérons les premières lignes du scénario :
FADE IN SOMETIME IN THE FUTURE: INT. ENGINE ROOM Empty, cavernous. INT. ENGINE CUBICLE Circular, jammed with instruments. All of them idle. Console chairs for two. Empty. INT. OILY CORRIDOR - "C" LEVEL Long, dark. Empty. Turbos throbbing. No other movement. INT. CORRIDOR - "A" LEVEL Long, empty. INT. INFIRMARY - "A" LEVEL Distressed ivory walls. All instrumentation at rest. INT. CORRIDOR TO BRIDGE - "A" LEVEL Black, empty. INT. BRIDGE Vacant. Two space helmets resting on chairs. Electrical hum. Lights on the helmets begin to signal one another. Moments of silence.
Les mots jouent contre nous. Ils doivent être soigneusement choisis. La toute première description nous donne une idée des dimensions du vaisseau : Empty, cavernous (vide, caverneux).
Puis le compartiment moteur lui-même (INT. ENGINE CUBICLE) nous donne quelques informations essentielles et suffisantes :
- Jammed with instruments (tout l’espace circulaire est occupé par des instruments).
- All of them idle (Tous ces instruments semblent en attente).
- Console chairs for two (il y a une console avec deux sièges)
- Empty (et ces sièges sont vides).
En quelques détails, nous apprenons que cette chose est habitée et comme il y a deux sièges, cela induit un équipage. Puis on nous dit que les sièges sont vides, que les instruments sont inactifs comme dans l’attente de quelque chose, cela attire aussitôt notre attention sur un effet d’étrange absence.
On nous emmène ensuite au niveau C, un long corridor huileux et sombre et vide. Le seul mouvement ici est cette palpitation sensible des moteurs (Turbos throbbing. No other movement).
L’effet recherché est ce sentiment de navire abandonné, de Marie Celeste du futur. Néanmoins, les moteurs palpitent. Cet effet de vide et d’abandon se conjugue alors avec la certitude que le vaisseau est en mouvement et fonctionnel.
Le niveau A (A level) répète le sentiment de vide qui émane de tout cet espace. Cet espace nous paraît occupé mais où est passé l’équipage ? Voilà la question dramatique qui se pose aussitôt.
Et soudain la situation change. Nous sommes dorénavant sur le pont (INT. BRIDGE). Même ronronnement omniprésent qui rajoute au malaise ressenti de cette vacuité et deux casques (on ne s’étend d’ailleurs pas sur leurs détails car ce n’est pas ce que l’on demande au scénariste) se mettent à dialoguer entre eux.
Et le mouvement ?
Quelques lignes plus bas, nous avons nos réponses aux questions soulevées par cette Opening Sequence. L’équipage du Nostromo est réveillé de sa biostase parce que l’ordinateur de bord a capté un signal de détresse.
Les questions que nous nous sommes posées dès la première page trouvent leurs résolutions : Pourquoi le vaisseau semblait vide ? Parce que l’équipage était en biostase. La vie au ralenti à l’intérieur du vaisseau s’explique. Et rapidement, nous apprendrons qu’un signal de détresse est la cause de ce réveil intempestif.
L’intention de cette première page du scénario est que nous nous posions ces questions. Tout ce qui y est décrit pointe vers ces questions. La sensation palpable de cet élan dramatique est que nous nous interrogions effectivement sur ce que nous percevons.
Voyez la dynamique. Elle implique le lecteur dans le récit.
Dans une description telle que celle-ci, ce qui importe n’est pas de détailler une carte postale, d’espérer qu’un sentiment de beau ou une quelconque esthétique s’empare du lecteur (à moins que ce sentiment ne soit recherché et qu’il participe de l’intrigue), ce qui importe est d’impliquer le lecteur.
Et c’est par les questions qu’il se posera (même s’il ne veut pas se les poser) que sa participation sera active parce que cela donne un élan au récit. Puisque l’histoire progresse inexorablement, il lui faut un moteur qui la propulse vers l’avant.
Vouloir que le lecteur/spectateur se pose les bonnes questions, cela n’est possible que si chaque détail décrit contribue au mouvement narratif en possédant en son sein une raison d’être, une conséquence à venir.
ÉCRIRE, C’EST D’ABORD UN PROCESSUS
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