Les personnages complexes
Ce n’est pas tant le contenu qui rend les personnages complexes mais plutôt l’arrangement des éléments qui forment ce contenu. Nous connaissons tous des gens à l’esprit étroit ou qui sont si conformes qu’ils en sont prévisibles au point d’être ennuyeux.
Des personnes qui sont plus variées sont tout emplis de contradiction ou possèdent des traits apparemment incompatibles au sein d’une même personnalité. Il en est ainsi des personnages de fiction.
Nous pouvons imaginer que construire un personnage, c’est joindre un certain nombre de briques. C’est-à-dire plus précisément un nombre donné de briques, pas une brique de trop, pas une brique de moins. La construction sera finie lorsque toutes les briques auront été assemblées.
Si une brique est laissée sur le côté, alors un sentiment d’incomplétude apparaîtra.
Lorsque toutes les briques sont utilisées et qu’elles sont présentées dans une combinaison donnée et reconnue, alors nous créons un personnage archétypal. Rien de mal en cela.
Néanmoins, la répétition encore et encore d’un même personnage archétypal et bien qu’il rende toujours les services qu’on attend de lui finit par s’élimer.
Il est alors évident d’élaborer des personnages quelque peu différents.
Les personnages archétypaux ont leur place, mais…
Si l’auteur souhaite se concentrer sur son intrigue ou sur son thème, il peut trouver utile de créer des personnages facilement identifiables en usant d’archétypes comme moyens de gagner du temps et de l’espace.
Aussitôt que les contours d’un personnage archétypal sont dessinés, le lecteur (qui a déjà vu ces archétypes) remplira les blancs dans l’attente d’une information lui prouvant le contraire.
Ainsi, l’auteur économise du temps et des pages pour les consacrer à des aspects de son histoire qui l’intéressent davantage.
Du coup, les personnages complexes sont souvent ignorés. Il y a excès d’histoires peuplées de figurines tournées vers l’action. Et lorsqu’il existe une surabondance en un domaine, cela signifie qu’une famine frappe ailleurs.
Le déséquilibre entre surplus et déficience crée une étrange demande : l’excédent en veut toujours plus et le manque ne pouvant être satisfait se complaît dans son indigence.
Des personnages à quatre dimensions
Dramatica classe les éléments de caractérisation en quatre dimensions : MOTIVATION, METHODOLOGY, PURPOSE et EVALUATION.
Chacune de ces dimensions compte 16 éléments de caractérisation. Il y a donc au total 64 éléments de caractérisation.
Concernant les éléments de caractérisation liés à MOTIVATION, nous les avons abordés lors de l’étude des personnages objectifs (Chapitre 5 & 6).
Pour la dimension METHODOLOGY, je vous renvoie à DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (17)
Pour la dimension PURPOSE, ce sera l’article DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (18)
Et pour la dimension EVALUATION, DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (19)
Donc, chaque personnage, qu’il soit archétypal ou complexe, possède quatre niveaux ou dimensions qui contiennent des caractéristiques qui le décrit.
Ces quatre niveaux sont :
- MOTIVATION
- METHODOLOGY
- EVALUATION (ou plutôt MOYENS D’EVALUATION)
- PURPOSE
Lorsque je dis que les caractéristiques attribuées à chacune de ces dimensions décrivent le personnage archétypal, il faut plutôt comprendre qu’une caractéristique dans chacune des dimensions décrira comment ce personnage gérera un problème externe et une autre caractéristique décrira comment il va gérer les problèmes internes.
Le calcul est simple : chaque dimension présente deux caractéristiques. Un personnage archétypal peut donc être décrit avec 8 caractéristiques.
Pour créer un personnage complexe, il suffit d’intervertir les éléments de caractérisation d’une même dimension qui sont habituellement attribués à un personnage archétypal avec un autre personnage archétypal pour qui cet élément de caractérisation n’est pas naturel.
Les personnages sont ainsi toujours bien équilibrés mais ne sont plus aussi prédictibles que les archétypes.
Je vous renvoie au chapitre 8 pour redécouvrir si besoin en est les personnages complexes :
CHAPITRE 8 :
LES CARACTÉRISTIQUES DE MOTIVATION COMPLEXE
DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (13)
Les personnages complexes dans Autant en emporte le vent
DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (14)
Les personnages complexes dans Fenêtre sur cour
DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (15)
Ainsi, lorsque le point de vue change et qu’une scène ou un acte glissent de METHODOLOGY à MOTIVATION, par exemple, la manière dont un personnage répondra peut elle aussi changer radicalement.
Des personnages encore plus complexes peuvent être construits en donnant plus de caractéristiques à d’autres personnages ou bien en en soustrayant chez d’autres.
Par exemple, un personnage pourrait avoir deux caractéristiques dans la dimension MOTIVATION, trois dans la dimension METHODOLOGY. Un autre personnage ne pourrait posséder que PURPOSE sans MOTIVATION ou l’une des trois autres.
Ces personnages qui ont le plus de caractéristiques seront davantage sollicités. Ils apparaîtront ainsi plus souvent renforçant leur présence auprès du lecteur.
Un personnage ne peut servir deux maîtres
Vous connaissez dorénavant la notion de paires dynamiques.
Concernant la notion de paires dynamiques, nous vous renvoyons à l’article
DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (6)
La seule règle (qui dit règle dit danger pour la créativité) lors de la construction d’un personnage est d’éviter de lui assigner deux caractéristiques qui s’opposent naturellement.
Comme le rappelle cet article DRAMATICA : LA THEORIE EXPLIQUEE (13), on ne peut être à la fois pour et contre quelque chose.
Dans le même ordre d’idée, il est préférable d’éviter d’attribuer à un personnage plus d’un élément de caractérisation figurant dans la même quaternité car ces éléments de caractérisation appartenant à une même quaternité représentent des points de vue conflictuels sur le même problème.
Bien sûr, il pourrait être souhaitable de procéder ainsi pour créer un conflit interne. Mais pour ce qui est des personnages objectifs, ils sont observés de l’extérieur. Nous ne pouvons percevoir leurs délibérations personnelles, internes.
Un conflit interne, quel qu’il soit, fragilise la fonction objective du personnage.
Les caractéristiques de l’Objective Throughline
Nous l’avons vu aussi : les éléments de caractérisation sont les détails ultimes de la résolution du problème dans une histoire. Sous chaque variation de type, il y a quatre éléments de caractérisation qui constituent cette variation de type et qui sont aussi déterminés par la nature de cette variation de type.
Parmi les appréciations thématiques, nous avons vu qu’il existait l’appréciation désignée par le terme Range.
Concernant la notion de portée (ou Range), je vous renvoie à ces deux articles
L’un des quatre éléments de caractérisation qui se retrouvera dans Range sera le problème de l’histoire, l’essence même de ce problème ou plus prosaïquement, conflit thématique (bien que Range soit mieux décrit par la dynamique qui s’opère entre cet élément de caractérisation qui décrit le problème et le contrepoint de cet élément qui se manifeste en diagonale dans la quaternité voulue par l’auteur).
Un autre de ces éléments de la même variation de type s’avérera être la solution.
Un troisième élément sera le Focus de l’histoire, là où le problème (ou Problem) semble se manifester principalement. Et le dernier de ces éléments de caractérisation représente la direction (Direction) prise en réponse au Focus.
Reprenez éventuellement la lecture de cet article DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (113) pour mieux appréhender ces notions.
Chacun de ces éléments a une fonction spécifique et reconnaissable que même d’autres théories ne nient pas. Par exemple, nous comprenons parfaitement que les personnages ne se dirigent pas vers la réelle solution mais par ce qu’ils perçoivent de la solution.
Et les personnages sont fréquemment aux prises avec un problème qui sera en fin de compte reconnu simplement comme un symptôme (Symptom) du vrai problème.
L’élément décisif (Crucial Element)
Les histoires sont vraiment au sujet d’une iniquité et de sa solution. En somme, des circonstances singulières ont crée un problème et des choses devront être changées pour que l’équilibre soit retrouvé.
Sous cet angle, l’élément de caractérisation attribué à Problem apparaît être l’essence de cette iniquité. Dans la vie réelle, nos sens ne nous renvoient pas la véritable nature d’une chose. Il faut aller au-delà de ce qui se manifeste pour appréhender cette essence, ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est.
Le paradigme que nous donne Dramatica permet à l’auteur de viser cette essence et d’en proposer une illustration.
Ce sera le même processus avec l’élément de caractérisation assigné à Solution. Il sera alors l’essence de ce qu’il sera nécessaire pour rétablir l’équilibre.
Selon les dynamiques de l’histoire, l’un de ces quatre éléments sera prédominant.
Concernant les dynamiques de l’histoire :
CHAPITRE 21
STORYTELLING ET DYNAMIQUES DE PERSONNAGES
DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (103)
DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (104)
CHAPITRE 22
STORYTELLING ET LES DYNAMIQUES D’INTRIGUE
DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (105)
Pour marquer cette importance qui le recouvre, cet élément de caractérisation devient un élément décisif (Crucial Element dans le vocabulaire de Dramatica).
Concernant ce Crucial Element, je vous renvoie à
Ce Crucial Element rend les autres iniquités qui peuvent surgir dans l’histoire comme des maux de moindre importance. S’il est décisif, c’est parce que s’il parvient à équilibrer les choses, toutes les autres iniquités de l’histoire seront forcées de s’équilibrer aussi.
S’il ne parvient pas à rétablir les choses pour trouver un équilibre, alors aucune des autres iniquités ne pourront être résolues.
Les éléments objectifs et les personnages subjectifs
Les éléments de caractérisation servent à montrer à quoi ressemble une iniquité sous tous les angles possibles. Ils affinent la source du problème : la pomme pourrie dans le panier.
Ces 64 éléments de caractérisation doivent être distribués entre tous les personnages afin d’explorer entièrement l’iniquité mise en avant par l’histoire.
Parmi ces personnages, deux d’entre eux sont particulièrement significatifs : le personnage principal et l’Influence Character.
Le personnage principal et l’Influence Character sont des personnages subjectifs.
Je vous renvoie au Chapitre 10 : Les personnages subjectifs pour une première approche de ce concept.
Ces deux personnages (principal et Influence Character) ont une double tâche : Ils sont responsables de la Subjective (ou Relationship) Story Throughline ET il leur est aussi assigné une fonction objective.
Le player qui est le personnage principal (ou Main Character) est celui qui possède le Crucial Element dans son rôle objectif, dans sa fonction dans l’histoire.
Cependant, ce Crucial Element n’est pas nécessairement la solution. Il peut être tout aussi bien Problem, Focus ou Direction. Ce seront les dynamiques qui en décideront.
La dualité ainsi créée entre ces deux players fait de ceux-ci les pierres angulaires de l’histoire. Cela pose une charnière qui permet aux lignes dramatiques et aux problèmes objectifs et subjectifs de converger.
Le player qui est l’Influence Character reçoit l’élément de caractérisation qui apparaît en diagonale dans la quaternité où figure le Crucial Element.
C’est le contrepoint du Crucial Element, l’autre composante de la paire dynamique que tous deux constituent.
Ainsi, comme le personnage principal ou son Influence Character en viennent en fin de compte à changer ou à rester Steadfast (Pour les concepts de Change ou de Steadfast, je vous renvoie à DRAMATICA : LA THÉORIE EXPLIQUÉE (103)), le problème subjectif influencera comment ce player répondra en regard de l’élément objectif qu’il possède aussi.
Ce qui se produit du côté subjectif influencera la position objective et lorsque la pression force un Change dans la position objective, cela influencera le point de vue subjectif.
Cette relation unique entre les dynamiques objectives et subjectives à l’œuvre chez les personnages a longtemps paru indéfinissablement obscure.
Nous commencerons le Chapitre 28 dans le prochain article.