L’imitation serait-elle vraiment la plus vieille forme de flatterie ?
L’imitation n’est pas plagiat mais seulement d’essayer de voir le monde comme d’autres auteurs et autrices l’ont vu à un moment ou à un autre.
Lorsqu’on est auteur, notre perception du monde est orientée vers l’écriture et ce processus d’écriture est doublé d’une certaine anxiété lié à la créativité et à la juste spontanéité.
L’auteur ou l’autrice sélectionne soigneusement des détails de son environnement et les conserve quelque part où il pourra peut-être les utiliser un jour dans un projet.
Nombre d’auteurs doivent cependant affûter ce sens de l’observation et de l’interprétation à chaque nouveau projet, fort cependant de l’expérience qu’ils ont acquise précédemment.
Pour développer cette sensibilité, il y a une méthode. Il y a d’ailleurs des méthodes à tout et ces paradigmes ne jouent pas contre la créativité. Ils servent à mettre notre sensibilité au contact de notre créativité qui s’en nourrira.
VOTRE SENSIBILITÉ
Ce que voit un auteur
Avec toutes les précautions nécessaires (car l’on risque d’être intrusif), l’observation des gens n’est pas juste un hobby pour un auteur, cela fait partie de son activité.
Sourires, regards, comportements, les relations aussi qui se créent entre les gens ou qui existent déjà entre eux et tant d’autres détails sont autant de sources d’inspiration inépuisables liées à l’observation.
Mais ne sombrons pas dans le cliché, le comportement si commun, si basique qu’en aucun cas, il ne pourra transporter ni votre lecteur, ni votre muse.
Par exemple, ne décrivez pas deux piliers de bar si leurs comportements sont identiques. Relevez plutôt les détails qui peuvent rendre uniques le pilier de bar que vous utiliserez dans votre récit.
Vous allez, au fil du temps et de vos observations, vous fabriquer un catalogue d’images et de moments essentiellement visuels que vous pourrez combiner en une scène originale.
Vous pouvez aussi à partir d’une simple observation, développer un contexte dans lequel elle viendra s’inscrire et se fondre parmi d’autres moments qui ne pourraient être que de pure imagination.
Un entraînement quotidien
Pour entraîner cette sensibilité particulière du regard, de l’observation, vous devez vous préparer au quotidien à saisir les détails dont vous sentez (peut-être confusément) qu’ils peuvent personnaliser une scène (même si vous n’avez aucune idée de celle-ci).
Cet apprentissage du regard devrait vous permettre de discerner le potentiel fictif que porte en germe un événement même banal de la vie réelle.
Ecrire un scénario consiste à montrer les choses. Le spectateur n’entre pas dans la tête de vos personnages. Vous devez donc reconstruire visuellement une intériorité.
Considérant qu’une intériorité est un espace psychique, vous pourriez vous livrer de temps à autre à un exercice qui consiste lorsque vous pénétrez pour la première fois un lieu (dont vous n’avez pas une réelle habitude) de l’observer quelques minutes et de fermer les yeux.
Puis de reconstruire cet endroit de façon telle que quelqu’un d’autre pourrait imaginer ce lieu. Il est probable que vous allez filtrer la réalité avec votre propre sensibilité mais c’est cela aussi ce que l’on appelle votre voix.
Lorsque vous observez une scène de la vie réelle, notez tout ce qui peut sortir de l’ordinaire. C’est-à-dire tout ce qui dénote dans cette scène.
Pourquoi cet homme vous semble t-il si mal à l’aise ? Même si vous n’obtenez pas de réponse, conservez en notes que vous avez observé un homme qui ne semblait pas à sa place dans ce lieu. Beaucoup d’histoires peuvent naître alors de quelque chose de curieux.
Le regard, source d’inspiration
Les regards échangés entre deux individus sont comme un langage. Essayez d’interpréter ce qui peut se dire à travers les regards.
Vous pourriez aussi tenter de lire tout ce que les yeux d’une personne ont à dire (cette lecture sera probablement imprégnée de votre propre expérience. C’est l’aspect le plus difficile à éliminer lorsque l’on tente de comprendre ce qu’il se passe chez autrui ou d’y lire un passé).
Je me souviens d’un café où j’étais attablé. C’était un café typique de quartier avec son débit de tabac, son PMU et toute cette faune que l’on a l’habitude de retrouver dans de tels endroits.
Puis, une femme d’une soixantaine d’année est entrée. Elle portait des vêtements propres et soignés mais définitivement pas de notre temps.
Elle s’est assise silencieuse, a commandé son café (une chose qu’il semblait qu’elle avait l’habitude au comportement du serveur), a siroté ce café sans mot dire et est ressortie aussi discrètement qu’elle était entrée (la scène n’a pas duré dix minutes).
Cette scène, je l’ai notée puisque je vous en parle. Depuis, je travaille à imaginer tout ce que son regard sur lequel je me suis concentré pouvait cacher.
Je n’atteindrais probablement jamais sa vérité. Mais je peux aussi devenir un habitué du lieu, attendre cette femme et espérer nouer une relation avec elle. Peut-être alors en apprendrais-je plus…
Tout comme les regards, les gestes les plus anodins ont quelque chose à dire.
Les gestes traduisent des choses. Ils sont comme une signification sous-entendue à un discours. Une main posée sur une épaule peut être menaçante, autoritaire ou affectueuse quelques soient les mots prononcés.
Si vous pouvez suivre ces gestes, vous pourrez les réinterpréter et les recréer dans une scène de votre scénario.
Notez aussi les petites bizarreries liées aux comportements, les sautes d’humeur ou comment une émotion peut trouver son chemin en une expression qui distinguera immédiatement cette personne du reste du groupe.
Cela vous permettra de noter au fil du temps une liste de traits de personnalité que vous attribuerez à vos personnages ce qui ne peut que les améliorer.
Ce qu’entend un auteur
Un scénario, c’est aussi un univers de sons. Toutes sortes de sons qui donneront une profondeur qui résonnera dans la sensibilité de vos lecteurs.
Repérez les sons qui suggèrent l’événement, pas seulement l’action. On se doute de comment une scène de poursuite en voitures sonne. Mais un baptême possède lui aussi son propre paysage sonore.
Quel que soit l’endroit où la scène prend place, son environnement sonore devrait pouvoir immédiatement donner une atmosphère particulière.
Lorsque vous êtes dans un lieu, essayez de trouver du sens aux différents sons qui émanent de l’endroit.
Par exemple dans Little Children de Todd Field et Tom Perrotta, Sarah est souvent vue dans le parc d’enfants entourée des rires d’enfants et des couples d’amoureux.
Cela vient contraster la désespérance qu’elle ressent devant l’échec de son mariage et la culpabilité de sa liaison avec Brad. Cette signification indicible vient renforcer la détresse muette de Sarah.
Le rythme des conversations ponctuées de silence est porteur de sens aussi. Chaque conversation possède son propre tempo, ses propres modalités. Ecoutez ce rythme, écoutez les silences. Cela vous aidera à composer vos propres dialogues.
De même l’argot ou tous vocabulaires liés à un domaine professionnel traduisent une culture, un contexte socio-économique ou professionnel. Différencier les mots pour chacun des personnages permet de mieux les caractériser.
Nous vous renvoyons à notre série d’articles sur les conseils aux dialoguistes que donne William C. Martell.
Evidemment, si votre scénario est réalisé, vous ne serez pas responsable des sons tels qu’ils apparaîtront.
Mais si vous pouvez entendre une scène lorsque vous l’écrivez, cela vous aidera à mieux l’écrire. Et parce que les sons représentent le monde de votre personnage, vous devriez pouvoir aussi mieux comprendre les dilemmes et conflits de votre personnage, à la fois intérieurs et extérieurs.
Un catalogue à portée de main
Maintenant, ce travail sur la sensibilité aboutit à une collection énorme de sons et d’images. Après tout, c’est une façon originale, et qui n’a de cesse de voir le monde.
Quand vient le moment du tri ou de choisir les détails qui feront partie de votre projet, il est utile de se rappeler :
- que les détails créent des images qui attirent immanquablement. En quoi ces images attirent-elles ? Parce que cet assemblage de détails crée de la tension, de l’émotion, du mouvement c’est-à-dire une dynamique qui ressemble à la vie.
Vous devez non seulement capter l’attention mais aussi la garder. Vous devez traduire en images l’état émotionnel d’un personnage. - que les détails soulèvent des questions.
L’écriture elle-même pose des questions et tente d’y répondre, de soulager l’auteur. Le personnage aussi se pose des questions ce qui détermine ses choix au cours de l’histoire.
L’histoire elle-même pose une question connue sous l’expression de question dramatique c’est-à-dire si le héros réussira ou pas son objectif. - que les détails qui vont réfuter ou supporter votre propre code moral sont à retenir.
Ecrire sert un but, que ce soit d’inspirer, de débattre, de questionner, de divertir… Votre propre éthique entre en ligne de compte mais afin de ne pas faire de propagande, vous devez exposer les détails qui vont à l’encontre de votre morale comme ceux qui vont l’étayer. Tous les détails que vous avez récoltés de vos observations ne sont pas tous utiles à servir votre propos. Tentez de discerner parmi votre collection ceux qui exposeront au mieux le pour et le contre de votre proposition. - qu’afin de soutenir l’élan de l’histoire, beaucoup de scènes s’articulent autour du conflit.
En fait, le conflit devrait se trouver à tous les niveaux de l’histoire, c’est-à-dire
. que les relations devraient être conflictuelles à des degrés divers,
. que le propos de l’histoire devrait pouvoir soulever une argumentation entre différents points de vue (à l’intérieur de l’histoire comme à l’extérieur, c’est-à-dire le lecteur),
. que le personnage principal serait lui aussi en train de se débattre avec des problèmes personnels
. et bien entendu, l’ultime affrontement, celui qui répond à la question dramatique centrale de l’histoire et qui se situe dans le climax est un conflit. Il n’existe pas de conflits larvés dans une fiction.
Tentez de reproduire dans votre histoire des moments de la vie réelle où un conflit existe : un point de vue différent, un refus de participer à une soirée, les impôts à payer et l’on n’a pas l’argent (conflit avec l’administration), la voiture qui refuse absolument de démarrer alors que vous lui demandez poliment avant de vous énerver (conflit personnel avec vous-mêmes)…
Tout est prétexte à conflit dans la vie réelle : essayez de saisir non pas l’origine du conflit (ce serait trop localisé l’événement) mais plutôt d’en comprendre l’essence, ce qui rend une situation potentiellement conflictuelle (encore une fois, quelque soit la forme du conflit). - que les rares moments qui mettent en avant la condition de notre nature humaine sont un point important auquel de nombreux arts aspirent.
Comprendre la vie, comprendre le sens de la justice et ce que c’est que d’avoir une bonne conduite.
Saisir l’ironie de la vie mais aussi sa nature sauvage. Il faut bien admettre que la violence est naturelle chez l’homme mais éduqué, il sait refréner cette violence. Evidemment, Rousseau a dit que l’homme était bon par nature et que la société le corrompait. Mais considérer que la violence est naturelle à l’homme est bien plus porteur pour un auteur.
Montrer la vie dans tout ce qu’elle a de glorieux peut aussi se produire dans la vie réelle.
Lorsque le hasard vous met sur le chemin d’un événement qui peut répondre aux questions que tout homme se pose, surtout souvenez-vous en car ils peuvent donner des scènes magnifiques.
Chaque scène que vous construisez, chaque image que vous créez a un propos, un but. Si les détails que vous insérez détourne votre propos, il vaut mieux garder ces détails pour un autre projet.
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