Écrire une fiction (un roman, un scénario..) n’est pas une science exacte. De nombreuses théories et des pratiques ont été données. Chacun s’en ait saisi sans néanmoins la certitude de l’évidence. Et c’est tant mieux car pour tester son idée ou son concept, autant essayer plusieurs choses.
L’idée de l’idée est de ne pas entraver le processus créatif. Ce n’est pas parce qu’on structure son texte, qu’on organise une séquence d’événements chronologiquement logiques ou tissés entre les moments présents et des analepses (voir des prolepses) car en fiction, on aime jouer avec le temps (ou la temporalité), cela n’implique pas du tout que l’on enferme sa muse et qu’on l’oublie.
Réfléchir à son texte, essayer de comprendre pourquoi telle métaphore s’impose à notre esprit, comment et pourquoi au point médian du récit advient telle crise et non une autre, c’est donner une orientation, une direction à son processus créatif. Ce processus créatif a un but. En somme, l’autrice et l’auteur cherchent à obtenir sur leur lecteur/spectateur un certain effet après le dénouement de l’histoire qu’il vient de lui raconter.
L’accomplissement de cet effet n’épuise pas la capacité créatrice de l’auteur et de l’autrice qui entreprendront un nouveau projet, un nouveau commencement de leur génie créatif.
Tester son idée
On peut trouver son idée géniale ou on peut en avoir des dizaines. Mais avant de se jeter la tête baissée dans l’écriture de son scénario, autant s’assurer que l’idée que nous aurons retenu est la meilleure pour ce travail qui consommera beaucoup de notre temps.
Et l’objectif est soit de se faire publier, soit de voir notre scénario devenir un film. Au reste, un scénario n’est pas une chose en soi. Son devenir est celui d’un film.
Et le scénario ne devrait se comprendre que selon cet ensemble : des mots d’abord qui aspirent (comme une tendance qui tend à se réaliser mais qui n’existe pas tant qu’elle n’est pas réalisée) à devenir des images.
On peut déjà se poser cinq questions :
- Qu’est-ce qui fait que le film sera différent de ce qui a déjà été fait ?
Par exemple, comment pourriez-vous réécrire l’histoire de Roméo et Juliette sans que ce soit l’histoire de Roméo et Juliette ? - Vous avez décidé d’écrire dans un genre (la comédie, le tragique, l’aventure, l’horreur..). Vous vous soumettez donc volontairement à un certain nombre de conventions parce que le lecteur/spectateur les attend et parce que vous écrivez pour un lecteur et une lectrice).
En plus des conventions, néanmoins, comment espérez-vous innover malgré les contraintes imposées par le genre ? - Puisqu’on écrit pour un lecteur, avez-vous quelques notions sur votre lectorat ou votre spectateur ?
Visez-vous une audience large ou plutôt non pas élitiste bien sûr mais davantage orientée vers le cinéma indépendant comme à Sundance ? - Un scénario, c’est 90 ou 120 pages environ. Aurez-vous assez de matière avec votre idée pour porter ces 90 ou 120 pages ?
- Et maintenant, votre personnage principal. Pourquoi votre lecteur/spectateur est-il ému par ce personnage ? Qu’est-ce qui peut créer d’abord un courant de sympathie et ensuite un lien empathique entre lui et ce lecteur/spectateur ?
Le brainstorming
Parfois, on peut être désespérément à la recherche d’une idée. Sans jamais en retenir une seule. Une bonne habitude serait de se réserver un moment quotidien ou hebdomadaire selon votre disponibilité pour jeter sur le papier (ou l’ustensile qui vous convient le mieux) entre cinq et une dizaine d’idées.
Mais c’est quoi une idée ? Ce peut être un titre, un nom de personnage ou seulement son prénom (très évocateur parfois), une ligne de dialogue que vous avez inventée ou bien entendue, et pourquoi pas, le commencement d’une scène.
C’est important de commencer puisque avant de commencer, il n’y a encore rien.
Le brainstorming consiste à muscler son imagination. Maintenant, lorsque vous vous accrochez à une idée, que vous y croyez vraiment, voyez autour de vous les personnes à qui vous pouvez présenter cette idée. Optez pour des personnes qui ne chercheront pas à vous plaire seulement pour ne pas vous décevoir. Il faut que le retour soit sincère. Essayez de résumer vos personnages, le monde de l’histoire, le voyage émotionnel que vous prétendez vouloir faire vivre non seulement à votre personnage principal mais aussi à votre lecteur/spectateur car ce personnage principal est le dépositaire de l’empathie du même lecteur/spectateur.
Vous pourriez aussi réduire en quelques phrases cette partie subjective (et forcément attirante) en un combat personnel que devra entreprendre le héros ou l’héroïne de votre récit.
Et si on vous en laisse le temps, parlez de l’intrigue, décrivez des images. Expliquez votre idée. C’est plus difficile de garder l’attention de quelqu’un de cette façon parce que vous lui demandez de venir dans votre monde comme lorsque nous sommes plongés dans un roman. Or un roman ou un film ou une série sont des moyens d’accès faciles à des mondes fictifs inventés par d’autres. Le discours de votre interlocuteur, et même si vous le connaissez bien, peut vous sembler soudain étrange.
Il pourrait être intéressant de vous livrer à une expérience. Seriez-vous capable de décrire toute votre idée (car une idée a souvent une belle extension) en une image ?
Voici maintenant quelques conseils piochés ici et là.
Et si.. ?
Une idée, c’est souvent un Et si.. ?
- Et si les dinosaures étaient réintroduits dans notre monde moderne ?
- Et si un garçon perturbé trouvait un alien perdu et essayait de l’aider à rentrer chez lui ?
- Et si des jouets venaient à la vie lorsqu’ils sont seuls ?
Pourriez-vous faire un Et si.. ? avec votre idée.
Renforcer son idée
Vous avez un singe dans votre histoire ? Faites-en un singe géant ou bien dotez le du langage. On a tous connu une impression de déjà vu mais si le héros revivait encore et encore la même journée (Un jour sans fin) ?
Jusqu’où pourriez-vous pousser votre idée sans nuire à la cohérence de votre histoire ?
L’intensité dramatique
Cette intensité serait liée aux situations dramatiques. Selon les conditions prévues par votre prémisse (qui est un développement un peu plus détaillée de l’idée), quelle serait la situation la plus terrible ?
Se retrouver face à face avec un serpent, si on n’est pas habitué, est une situation angoissante. Mais être confiné avec quelques serpents est bien plus fidèle à l’esprit de la fiction. Ou encore comme dans Menteur, menteur, être forcé de ne dire que la vérité rien que la vérité pourrait convenir à un homme politique. Bien mieux est lorsque cette aptitude nouvelle tombe sur un avocat.
Votre idée vous permet-elle de comparer deux choses de telle manière qu’il émane une tension de ce rapprochement ? Par exemple, Serpents → Confinement ; Vérité → Avocat.. Ce n’est pas une contradiction entre deux valeurs.
Les concepts mis en œuvre ne sont pas des polarités non plus. Il se crée entre les deux notions mises en présence une dialectique, un mouvement, une force.
Un temps limite
S’ajoute aussi à la tension dramatique et au suspense, le concept de temps. Non pas la temporalité (subjective par définition), ou bien l’organisation des événements ou des faits apparaissant ou non selon un ordre chronologique dans l’histoire, mais l’idée que l’accomplissement du but doit advenir à un moment précis. Au-delà, il est trop tard et en-deçà, le personnage principal n’est de toutes manières pas encore prêt.
Forcer votre protagoniste à atteindre son but avant la fin du temps imparti peut ajouter une autre couche de drame à une intrigue par ailleurs un peu trop uniforme.
On emploie souvent le terme de couche. En fait, je parlerai plus volontiers de tissage. Ce ne serait donc plus des couches car la nature de ce que l’on entend habituellement par ce mot présuppose une superposition mais plutôt des fils narratifs. Ainsi il est plus aisé de tisser ces fils narratifs (que l’on peut considérer comme des lignes dramatiques).
Le compte à rebours serait quant à lui en quelque sorte un outil narratif comme une obligation faite au héros ou l’héroïne d’accomplir leur mission avant qu’il ne soit trop tard. N’est-ce pas aussi le but que nous nous fixons dans nos propres vies ? Dans Retour vers le futur, Marty doit assurer la rencontre de ses parents pour assurer sa propre existence, par exemple. Votre idée vous permettrait-elle d’ajuster une telle contrainte sur votre personnage principal ?
L’opposition
Le mot télos en grec antique représente l’objectif à atteindre. Nul doute que la volonté du protagoniste de réussir un objectif et en tant que personnage principal de s’accomplir pleinement représente un télos. Mais si l’on se contentait de suivre ce personnage dans ses pérégrinations pour voir seulement s’il réussit ou son besoin ou son désir serait quelque peu ennuyeux.
Alors il faut que quelque chose équilibre cette incoercible volonté.
Cette contradiction est liée à deux volontés différentes. Et lorsque ces deux volontés se frottent l’une à l’autre, cela crée du conflit. Le conflit est probablement l’essence de la fiction ; ce qui paraît à peu près évident, c’est qu’il rive le lecteur/spectateur sur l’histoire ou à défaut sur la ou les scènes dans lesquelles le conflit s’invite. Un ticket pour deux de John Hugues par exemple nous présente Neal qui espère pouvoir rentrer chez lui à temps pour Thanksgiving (c’est le compte à rebours).
Il rencontre de nombreuses difficultés comme le mauvais temps qui annule son vol. Ces difficultés sont en soi des conflits. Mais l’histoire serait bien monotone si l’on se contentait d’observer les efforts de Neal pour vaincre une adversité extérieure.
Comment ajouter de la subjectivité au récit ? Comment permettre au lecteur/spectateur de pénétrer le tréfonds psychologique de Neal ? En lui adjoignant un compagnon d’infortune, Del, qui est bien décidé à accompagner Neal pendant son périple.
Créer deux personnages qui ne s’entendent pas mais qui sont obligés de travailler ensemble pour atteindre un objectif commun est un excellent moyen d’ajouter facilement d’autres niveaux de conflit (et en particulier parce que c’est le détail qui compte, un conflit personnel).
Et probablement qu’en faisant ainsi, vous vous donnez le moyen de faire passer plus facilement votre message.
Est-ce que votre idée vous autorise t-elle à donner à votre protagoniste un personnage qui pourrait avoir une influence ou un impact sur lui ? Ce personnage pourrait être l’antagoniste mais pas nécessairement. C’est quelqu’un qui influence votre personnage principal et leur relation est déjà en elle-même une ligne dramatique à explorer.
Le mélange des genres
Il peut être difficile de vouloir être novateur en fiction. Tant de choses ont déjà été écrites qu’il paraît que tout a déjà été dit sur tout. Combinez les conventions de deux genres pourrait permettre alors de se trouver un style nouveau pour exprimer son point de vue forcément personnel sur une idée que d’autres ont déjà abordée.
Mais ce n’est qu’un moyen d’exprimer son point de vue. On peut vouloir parler de choses sérieuses sur le ton de la comédie, par exemple. Le regard que vous posez sur un sujet que d’autres ont déjà travaillé vous est personnel. C’est le message que vous tentez de faire passer qui est novateur.
Avez-vous envisagé quel serait le meilleur moyen d’expression pour votre idée ? Peut-être qu’un scénario n’est pas le bon choix. Le roman ou la nouvelle ou tout autre domaine de l’art pourraient aussi vous permettre d’extérioriser ce besoin de dire au monde ce qui palpite au-dedans de vous.
Les lieux de votre histoire
Les lieux détermineront le contexte social du récit. Vous pourriez réécrire Roméo et Juliette en changeant les lieux de l’action. Déplacer une intrigue connue vers un endroit différent peut être une autre façon de donner le même mais différemment. Voyez comment l’histoire classique de Robinson Crusoé a été mise dans l’espace pour devenir Seul sur Mars ou comment un père surprotecteur à la recherche de son enfant enlevé fonctionne aussi bien dans cette lie du monde qu’est Taken que sous la mer dans Le monde de Nemo.
Par votre idée, quels lieux pourriez-vous explorer ? N’hésitez pas à faire des recherches comme le préconise Dan Brown.
L’époque
On peut s’inspirer d’une idée existante et la déplacer dans un autre période. La mégère apprivoisée de Shakespeare a donné par exemple Dix bonnes raisons de te larguer de Karen McCullah Lutz et Kirsten Smith, une comédie romantique qui a très bien réussie au box-office.
Remarquez comment l’intrigue d’Avatar et de Pocahontas sont très similaires, le protagoniste se joignant aux indigènes, d’abord pour les exploiter, mais finissant par en tomber amoureux, sauf que l’une se déroule dans l’Amérique post-coloniale tandis que l’autre se passe dans le futur.
Si votre idée comporte en soi une forte pression émotionnelle, si vous l’envisagiez à une autre période autre que contemporaine, gagnerait-elle encore plus de puissance ?
Intervertir les sexes
Vous pourriez tout autant innover en changeant le sexe de vos personnages. Lara Croft, par exemple, est Indiana Jones mais en femme. Maggie dans Million Dollar Baby ne vous rappelle t-elle pas Rocky ?
Est-ce que votre idée ne pourrait pas profiter d’un personnage principal d’un sexe opposé ou bien s’il était un animal ou toute autre forme de vie intelligente ? A n’est peut-être pas A contrairement à ce que nous dit le principe d’identité.
Merci d’accompagner Scenar Mag