CINQ VARIANTES DE L’ARGUMENT MORAL

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Selon John Truby, l’argument moral présente des variantes. Ces variantes dépendent de la forme de l’histoire, de ce qu’elle met particulièrement en avant et bien-sûr de l’auteur et de l’autrice.

Voyons ce qu’en dit John Truby à propos de cinq variantes parmi les plus communes de l’argument moral.

Pour bien profiter de cet article, nous vous conseillons la lecture de :
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (1)
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (2)
LE THEME : ARGUMENTATION MORALE (3)

THEME & ARGUMENTATION MORALE

LE BIEN CONTRE LE MAL

C’est la variation la plus basique de l’argument moral. Le héros est bon et son opposant est mauvais. Et cela ne change pas.

C’est une approche que l’on retrouve dans les mythes ou dans les histoires qui se fondent essentiellement sur l’action. Ce sont en fait de simples contes moraux qui embarquent des personnages facilement reconnaissables.

  1. Le héros ou l’héroïne possèdent des faiblesses psychologiques. C’est une caractéristique fondamentale dans la construction du personnage principal. Mais il est essentiellement bon.
  2. Son opposant est moralement déficient. Notez que tout se joue sur des questions de moralité puisque cet argument moral de la lutte du bien contre le mal est à la base de toute éthique. Il faut apprendre à diriger sa conduite vers le bien, vers le souverain bien. Et cet apprentissage ne peut se faire qu’en contraste avec le mal désigné. Ainsi, l’opposant est de manière inhérente immoral.
  3. Dans la compétition pour l’objectif, le héros fait des erreurs. Cela est normal, on apprend souvent plus de ses erreurs que de ses bonnes actions que l’on ne comprend pas toujours. Par contre, il n’agit jamais de façon immorale. En cela, nous pouvons considérer que cela nuit au personnage sans pour autant nuire à l’histoire. Comme insiste John Truby, il est important que le personnage soit le plus proche de la vie réelle pour espérer l’empathie du lecteur à son égard.
    Cependant, un personnage qui manque de profondeur car l’histoire se préoccupe de dénoncer des faits plutôt qu’une étude psychologique ne signifie pas que cette histoire ne serait pas excellente.
    Conseil de lecture : MORALITE : UNE QUESTION A EXPLORER
  4. L’opposant, par ailleurs, est le champion des actions immorales.
  5. Le héros remporte la partie seulement parce qu’il est celui qui représente le bien.

Quelques exemples du bien contre le mal : Matrix, Crocodile Dundee, Dance avec les loups, The Blues Brothers, Star Wars, Forrest Gump, Le magicien d’Oz

LA TRAGEDIE

Il serait intéressant de lire ou de relire : 

  1. JOHN TRUBY : LES 7 ETAPES CLES (1)
  2. JOHN TRUBY : LES 7 ETAPES CLES (2)
  3. JOHN TRUBY : LES 7 ETAPES CLES (3)

La tragédie a de cela en particulier que la révélation de soi intervient trop tard dans l’histoire. Le héros possède bien sûr une faille fatale dans sa personnalité : fatale parce qu’il n’a pas la capacité ou la persévérance à aller au-delà de ce défaut dans l’armure de sa personnalité.

L’ordre des choses s’organise ainsi :
  1. La communauté à laquelle appartiennent le héros ou l’héroïne est dans le malheur. Notez que l’ordre social n’intervient pas dans la notion de communauté. Une caste comme dans Les 7 samouraïs peut prendre la défense de l’opprimé.
    Les mouvements de libération de la femme ont vu aussi dans leurs trois vagues successives des figures d’héroïnes qui considéraient la position de la femme comme un asservissement. Cette aliénation qui opprimait la femme était un dérèglement dans le fonctionnement de la société. Et la tragédie pour s’installer a besoin de cette perversion de l’ordre naturel des choses.
  2. Le héros ou l’héroïne possèdent un grand potentiel mais sont aussi affublés d’une grande faiblesse dans leurs personnalités. Rappelez-vous qu’il ne peut y avoir de besoin s’il n’y a pas a priori un défaut à surmonter.
  3. Un conflit profond s’instaure avec un opposant puissant. Cette force peut aussi s’exprimer dans une compétence que ne possède pas le personnage principal.
  4. La détermination du héros à remporter la victoire sur son opposant est une véritable obsession. A un point tel qu’il entreprendra des actions immorales.
  5. Le conflit et la compétition illuminent la faille du héros et aggravent les choses en ce qui le concerne.
  6. Le héros ou l’héroïne aboutissent enfin à une révélation sur eux-mêmes (anagnorisis). Mais celle-ci intervient trop tard pour éviter leur destruction.
L’empathie provient de la perte du potentiel

C’est le seul élément dramatique qui permette au lecteur et à la lectrice de comprendre le personnage principal. Ils souffrent pour lui en s’apercevant qu’à quelques minutes près, cette révélation de soi aurait pu sauver le héros.

Et bien que celui-ci ait rencontré la mort (symbolique ou non), le lecteur/spectateur conserve un profond sens d’inspiration face à l’éthique du personnage. Une chute, certes, mais un succès cependant émotionnel.

Mais le héros n’est pas une victime

La tragédie ne cherche pas à faire du personnage principal une victime. En effet, il est responsable de ses actions. Et c’est justement son défaut majeur et fatal qui fait de lui un être responsable.
Cette responsabilité n’en fait donc pas une victime. S’il chute, ce n’est pas à cause de forces impersonnelles et qui ne dépendent pas de lui. Ce sont les conséquences de ses propres actes (qu’il assume) qui causent sa chute.

Quelques exemples : Hamlet, Le pont de la rivière Kwaï, American Beauty, Citizen Kane

LE PATHOS

Voici la définition qu’en donne John Truby. Le pathos est un argument moral qui réduit le héros tragique au commun. Le pathos a cela d’intéressant qu’il montre la beauté de la résilience, des causes perdues et de la condamnation originelle de l’homme.

Étrangement, ces thèmes résonnent chez le lecteur. Le personnage principal ne connaît pas une révélation tardive dans l’histoire. En fait, il n’est pas capable de connaître une telle révélation malgré les épreuves.
Cependant, son personnage s’illumine même s’il ne peut parvenir à la béatitude.

Le cheminement du pathos :
  1. Le personnage principal possède au début de l’histoire des croyances et des valeurs qui sont affaiblies par quelque histoire passée. Elles sont incomplètes ou erronées.
  2. Le personnage possède un besoin moral. Il n’est pas seulement une victime. En règle générale, il est préférable de ne pas jouer sur la victimisation de votre héros ou de votre héroïne.
  3. Son objectif est hors de sa portée. Il désire quelque chose à laquelle il n’a pas accès. Mais il ne le sait pas encore. Comment peut-on imaginer ne jamais être aimé de cette fille dont un seul regard nous hante ? Que ce n’est que platonique ? et que cette fille représente un désir inaccessible hors de notre portée ?
  4. Son opposant est bien trop puissant pour lui. Souvent, il n’est pas personnifié. C’est un jeu de forces que le héros ou l’héroïne ne peuvent saisir. Cet opposant n’est pas en soi mauvais. Il se distingue par sa puissance et son indifférence.
  5. Le héros n’hésite pas à faire des actions immorales pour atteindre son but. Pour lui et peut-être pour le lecteur/spectateur, elles sembles légitimes. Mais les alliés du héros tentent de l’en dissuader.
    Cependant, il ne les entend pas.
  6. Le héros perd le combat. Pour son opposant, c’est une écrasante victoire. Pour le lecteur ou la lectrice cependant, cette chute du héros ou de l’héroïne est ressentie comme une injustice.
  7. Le héros ou l’héroïne connaissent la désespérance. Le personnage est brisé. Il ne connaît aucune révélation. Sa décision morale (son dilemme) est alors assimilée à un sacrifice.
  8. C’est un sentiment d’injustice qui est perçu par le lecteur/spectateur. Ce sentiment est accompagné d’une profonde admiration pour ce personnage. Son échec, son combat, son refus d’admettre sa défaite sont en soi admirable.
    Et c’est ce qui rend le personnage fascinant.

Quelques exemples : Don Quichotte, Un tramway nommé Désir, Conversation secrète, Cinema Paradiso, Madame Bovary

LA SATIRE ET L’IRONIE

La satire est une comédie sur les valeurs, les croyances fondamentales d’une société. L’ironie surgit lorsque l’on obtient l’opposé de ce qu’on s’évertue à trouver.

Lorsque toute l’histoire se fonde sur l’ironie, on obtient une dénonciation de la façon dont tourne le monde. C’est le choix du pamphlétaire.
Il existe une certaine confusion voulue dans l’ironie. La confusion qui semble l’accompagner est effectivement dirigée vers le rire du lecteur et de la lectrice. La comédie est ainsi un support efficace de l’ironie.

Ce type de comédie satirique et ironique se manifeste dans un contraste entre un personnage qui pense agir moralement mais dont les conséquences de ses actions et de ses croyances sont définitivement immorales.

L’ordre des choses dans l’ironie :
  1. Le personnage principal vit dans un système clairement défini. Il est important pour l’histoire que le lieu de l’action traduise précisément ce système.
    Sur ce sujet : LIEU, EPOQUE ET STYLE DE VOTRE MONDE
    Il est nécessaire que les valeurs du système soient parfaitement comprises du lecteur/spectateur.
  2. Le héros croit fortement en ces valeurs. Et il est résolu à s’élever dans l’échelon social. Le désir qu’il poursuit a souvent affaire avec l’ambition ou la romance.
  3. Dans l’ironie, l’opposant croit lui aussi fermement dans le système et ses propres valeurs l’orientent vers le même objectif que le protagoniste.
  4. La réelle compétition qui s’ensuit conduit les personnages à commettre des actions folles et destructrices.
  5. L’ironie ou la satire proviennent de la juxtaposition entre des personnages qui insistent sur le bien-fondé de leurs agissements, poursuivant un but moral qu’ils jugent le meilleur et sur les effets désastreux de ces actions. L’ironie s’appuie sur un jugement erroné.
  6. Orgueil et hypocrisie des deux facettes de l’argument thématique sont exacerbées dans la bataille pour l’objectif commun.
    Que ce soit le protagoniste ou l’antagoniste, l’hypocrisie qu’ils manifestent traduit l’argumentation que l’auteur et l’autrice ont mis en place avec leurs personnages. Il est d’ailleurs important pour le propos de l’auteur que la vanité soit exposée chez le héros ou chez l’héroïne comme chez son opposant.
  7. La révélation de soi que connaîtra le héros et l’héroïne implique habituellement une remise en cause de leur propre système de valeurs.
  8. Cependant, cette révélation sera amoindrie soit par le personnage principal lui-même, soit par un autre personnage. Dans la comédie, le personnage principal ne suit pas un apprentissage. Et généralement, cette révélation à moitié comprise ne lui permet pas vraiment d’atteindre à la complétude de son être.
  9. Le héros prend des décisions qui lui paraissent moralement justes mais qui ne peuvent influer sur la folie ou l’aspect destructeur du monde. Le combat entre le pot de terre et le pot de fer est perdu d’avance.
  10. En fait, l’histoire se termine souvent par un mariage ou assimilé. Cela suggère que le couple formera un microcosme meilleur que la société dans laquelle il s’inscrit. Mais ce microcosme n’aura que peu d’effet sur la société.

L’ironie se rencontre dans  : American Beauty, M.A.S.H., Le lauréat, Dans la peau de John Malkovich, La cage aux folles

LA COMEDIE NOIRE

La comédie noire selon John Truby est destinée à démontrer que la destruction n’est pas le fait d’un individu comme dans la tragédie. Il s’agit d’individus pris dans un système qui est foncièrement destructeur.
La révélation vers laquelle tend le personnage principal comme une finalité est retardée au maximum par l’auteur ou l’autrice. Cela lui permet de rendre son impact plus puissant sur le lecteur/spectateur.

Voici comment elle fonctionne :
  1. Il existe une organisation, une communauté. Dès le premier acte, le fonctionnement de ce système est explicité. Encore une fois, la description du monde (le contexte) est fort utile à ce moment de l’histoire.
  2. De nombreux personnages, y compris le personnage principal, se sont fixés un but négatif. Tuer quelqu’un ou détruire quelque chose.
  3. Chacun croit fermement dans la légitimité de l’objectif. En fait, il est totalement illogique.
  4. Les opposants, qui appartiennent à la même organisation, sont en compétition pour le même objectif. Ils justifient eux aussi avec force détail la légitimité de leur engagement. Mais ces justifications sont tout autant insensées que celles du personnage principal et de ses alliés.
  5. Parmi les alliés cependant, l’un d’entre eux pointera inlassablement sur la folie des décisions du héros (ou de l’héroïne) et que ses actions mèneront à un désastre. Ce sage semble détenir la vérité mais personne ne l’entend.
    La comédie noire, en fin de compte, est une critique acerbe de l’aveuglement des opinions et de la ténacité illogique à vouloir rester dans l’erreur.
  6. Les méthodes utilisées par les personnages (y compris le héros ou l’héroïne) sont extrêmes. Ils ne reculent devant rien pour atteindre leurs buts.
  7. Comme l’on s’y attend du point précédent, les actions des personnages mènent à la mort et à la destruction pour tous.
  8. Le combat est intense et destructeur. Et pourtant, chacun continue de penser qu’il agit justement. Les conséquences ne sont que mort et folie.
  9. Le héros échappe à la révélation. Cependant, celle-ci est si évidente que c’est le lecteur/spectateur qui en profite en fin de compte.
  10. Bien que souvent blessé à mort par le combat, les personnages n’abandonnent pas et continuent d’œuvrer pour l’objectif. On peut dire que ces personnages sont capables de mourir pour leurs idéaux.
  11. Il est possible que l’auteur ou l’autrice optent pour une vision moins noire de leur thème majeur et terminent par la seule personne sensée décidant de quitter le système.
    Elle peut aussi prendre la décision de vouloir le changer.

Le risque encouru avec la comédie noire est que le personnage principal ne soit pas apprécié du lecteur. Si ce dernier se sent moralement supérieur au héros ou l’héroïne, l’histoire ne fonctionnera pas.
Donc il est important que malgré l’erreur dans laquelle se complaît le héros, il se crée un lien entre lui et le lecteur. L’idée est que le lecteur/spectateur découvre soudainement qu’entre le héros et lui, il n’y a finalement pas une telle différence.

Le moyen le plus efficace pour y parvenir est que le personnage principal parle passionnément de son objectif. Il faut qu’il soit convaincant.

Quelques exemples : L’honneur des Prizzi, Les affranchis, Network, Brazil

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