La réécriture est une étape indispensable surtout lorsqu’il s’agit d’un scénario. Avant de procéder à cette tâche, Aaron Sorkin donne un conseil fort judicieux : aller jusqu’au bout de votre premier jet.
Il est difficile d’accepter de réécrire ce que l’on pense du moins en notre esprit comme quelque chose d’abouti dont on peut être fier et vous avez raison de l’être.
Le souci vient du fait qu’entre cet idéal et les mots couchés sur le papier, il y a une différence. Sur le papier, votre imaginaire n’est pas aussi brillant. Par vous-mêmes, en vous relisant, vous verrez bien ce qui ne fonctionne pas.
La réécriture est néanmoins plus facile que l’écriture du premier jet parce que vous savez ce qui ne fonctionne pas et que vous devez le résoudre.
Surtout, si vous vous rendez compte qu’à la page 20 ou 25 de votre scénario en cours d’élaboration, vous n’avez ni introduit le personnage principal, ni fait mention de l’incident déclencheur, continuez malgré tout sur votre lancée. Allez jusqu’au bout (à moins que vous ne jugiez qu’effectivement, il vaut mieux recommencer mais ne cédez pas trop facilement à la tentation, vous ne progresserez pas ainsi et mesurer l’avancement de son projet est particulièrement fertile pour l’inspiration).
Le conflit majeur
Le premier jet est comme un bloc de marbre. Maintenant, pour en tirer quelque chose de significatif, quelque chose qui fasse sens, il va falloir travailler ce bloc de matière brute. Je n’ai pas dit retravailler. Ce que vous allez faire lors de la réécriture, c’est de façonner cette matière dramatique brute.
Pour ce faire, une fois que vous avez atteint la fin de ce premier jet, il faut identifier non seulement votre conflit majeur mais aussi et surtout, tout ce qui ne relève pas de ce conflit majeur. Et ce qui n’appartient pas au conflit majeur, vous le supprimez parce que cela encombre votre scénario.
C’est la raison pour laquelle vous devez finir ce premier jet même si vous avez l’intuition que tout ce que vous écrivez n’est pas vraiment ce que vous vouliez. Cependant, à la fin de votre travail d’écriture de ce premier jet (et même si vous avez accumulé deux cents ou trois cents pages), vous saurez plus de choses sur votre projet qu’au bout de seulement une trentaine de pages.
Et Aristote encore
Une histoire est un tout organique. Chaque chose est intégrée au tout pour que le tout fonctionne. Si l’on retire une chose et que le tout fonctionne encore, c’est que cette chose est inutile. Ce qui est inutile est encombrant.
Facile à dire mais difficile à appliquer. Lorsqu’on a écrit quelque chose (une scène, des dialogues, des situations) dont on est satisfait, et qu’après réflexion, il s’avère que cette chose est davantage une épine qu’un rouage, il faut avoir le courage de l’écarter (du moins sur ce projet).
Des lecteurs bêta
Cela peut prendre du temps de trouver quelques personnes prêtes à vous faire un retour sincère et sans complaisance sur votre projet. Ce peut être des gens qui connaissent ce que c’est que d’écrire un scénario ou simplement des gens de votre entourage.
Ce qui compte est qu’il n’y ait aucune complaisance dans les retours qu’ils vous feront (et qui comprennent bien qu’il s’agit d’un scénario).
Vous obtiendrez ainsi des appréciations très positives sur certains moments de votre histoire tout comme certaines critiques comme un manque de lisibilité ou de compréhension par moments.
La personne à qui vous soumettez votre projet doit tenter de comprendre votre manière d’écrire. C’est-à-dire des personnes qui ne vont pas tenter de réécrire ce que vous avez écrit comme par exemple vouloir réduire des lignes de dialogue pour mettre plus d’action en place. Si vous avez allongé les lignes de dialogue, c’est que vous aviez une intention. La personne qui critique votre travail ne doit pas remettre en cause cette intention mais plutôt tenter de la comprendre.
En d’autres termes, le lecteur bêta doit vous soumettre des problèmes mais sans apporter de solutions. Il n’est pas là pour vous donner des réponses mais pour noter ce qui, selon lui, ne fonctionne pas ou bien ce qui a gêné sa lecture. L’appréciation d’un lecteur bêta doit être révélatrice de pierres d’achoppement.
Si vous avez la chance d’avoir un lecteur bêta en qui vous avez confiance, considérez chacune des notes qu’il pourrait soulever concernant votre travail. Cela signifie les plus insignifiantes (par exemple une faute d’orthographe ou une tournure de phrase maladroite) jusqu’à celles plus complexes relatives à la légitimité d’un personnage ou à des problèmes de structure.
Vous pourriez ne pas être d’accord mais ne négligez aucune des notes car celles-ci sont généralement motivées et vous devez vous interroger sur ce qui les a fondées.
A propos des notes
Ce qu’il faut obtenir du lecteur bêta, ce n’est pas de savoir si ce que vous écrivez est bien ou non. Pour Aaron Sorkin, la réécriture consiste à améliorer la compréhension du texte. Par exemple, pourquoi un personnage se sent-il obligé de faire quelque chose ? Ce genre de note est très instructif parce qu’il pointe sur un problème d’intention du personnage.
La réécriture consiste à reprendre son plan et non le premier projet, c’est-à-dire que vous n’allez pas reprendre chaque ligne du premier jet. Vous allez réécrire (et c’est un effort nécessaire à fournir) votre projet à partir du plan que vous aviez conçu préalablement au processus d’écriture proprement dit.
Vous réécrivez votre histoire fort des notes sur le premier retour (ou peut-être même que vous n’avez aucune note ou que tout le monde a trouvé votre premier jet parfait. Néanmoins, c’est un premier jet et quelque part, cela se ressent).
Bien sûr, votre premier jet sera présent à votre esprit et vous pourriez même en reprendre des passages entiers en les copiant littéralement mais l’idée de la réécriture est de vous permettre non seulement d’affiner ce que vous avez préalablement écrit mais aussi et surtout vous donner une nouvelle matière dramatique.