Le thème n’est pas facile à maîtriser. Il est caché dans les bonnes histoires, soumis à une approche assez brutale dans les moins bonnes histoires et parfois, il n’y en a pas.
Et pourtant, un thème puissant peut faire toute la différence.
Dans son livre Writing Screenplays That Sell, Michael Hauge démonte les mécanismes du thème en quelques éléments qui pourraient s’adapter à n’importe quel récit.
Pour Hauge, l’idée de thème est intimement liée à la notion d’arc dramatique des personnages et à l’Inner Journey (son voyage intérieur au cours de l’intrigue) du héros.
Cet article est destiné à vous donner le point de vue de Michael Hauge sur le concept de thème et comment le thème, les personnages et l’intrigue peuvent s’accorder pour nous procurer une histoire qui soit émotionnellement satisfaisante.
Une expérience émotionnelle partagée
Pour Hauge, le thème est une invitation pour le lecteur à vivre ce que l’auteur veut lui faire vivre. Il y a donc quelque chose à éprouver dans les écrits d’un auteur.
Cette expérience à laquelle nous convie l’auteur porte en elle un sentiment de complétude. Une histoire est une sorte de déclaration qui nous montre, nous décrit une expérience de vie (celle d’un héros) et qui nous propose de la partager dans notre propre vie, comme si la fiction rejoignait la réalité par ce biais.
L’histoire nous offre la possibilité de nous réaliser à travers la propre réalisation d’un personnage de fiction. Cette perspective est différente de la catharsis d’Aristote qui consiste en une libération, une purgation des émotions. Ce n’est donc pas une réalisation, une complétude pour Aristote mais plutôt une sorte d’assainissement de l’âme.
Hauge, reprenant les termes de Carl Gustav Jung, pense que le voyage intérieur (Inner Journey) d’un personnage de fiction et qui est décrit par son arc dramatique lui permet d’atteindre une maturité, une individuation. Et pour reprendre notre idée du partage entre un personnage et le lecteur, nous pourrions nous-mêmes améliorer notre individuation en suivant son exemple.
La nature du voyage intérieur du héros est le thème véhiculé par l’histoire. Donc, quel que soit le thème que l’auteur souhaite aborder, ce doit être l’Inner Journey du héros.
Si votre thème est celui de l’accomplissement personnel, d’êtres humains pleinement réalisés, votre personnage devra alors apprendre à se connecter avec les autres comme nous le montre des récits tels que Shrek, Will Hunting ou Rain Man.
Ce qu’il faut donc comprendre des réflexions de Hauge est que le thème a des racines profondes dans la réalité. Un personnage de fiction ne fait qu’incarner un thème pour le démontrer et lui permettre de résonner en nous.
Nous avons mentionné que l’arc dramatique d’un personnage décrivait son Inner Journey.
Michael Hauge écrit à propos de l’arc dramatique :
Character arc is the transformation from living in fear to living courage.
Lisez notre article sur les Arcs Dramatiques des Conflits Intérieurs pour plus d’informations.
Un travail personnel
Ce qu’il faut retenir de l’arc dramatique est qu’il est un voyage qui mène d’une situation où nous sommes définis par les autres à une nouvelle situation où nous nous sommes définis nous-mêmes. Et il aura fallu un courage véritable pour oser se mettre à nu devant nous-mêmes, vaincre nos peurs, prendre conscience de nos faiblesses et les surmonter pour aboutir à une maturité de l’âme.
Ce voyage est une transformation de notre personnalité, peut-être même un rite initiatique.
Si cet arc dramatique est universel, c’est-à-dire partagé par le plus grand nombre, alors il est le thème de votre histoire.
Que signifie être défini par les autres ? Plus précisément être défini par ce qu’ils nous font ou ce qu’ils nous disent ?
Reprenons nos exemples : Will Hunting est défini par les maltraitances qu’il a subies dans son enfance et administrées par son père. Dans Rain Man, le petit Charlie âgé de 3 ans est séparé de son frère, sa mère meurt et son père l’abandonne. Quant à Shrek, il est constamment rejeté parce qu’il est un ogre.
Ces expériences qui sont restées des blessures, des plaies ouvertes dans la vie de ces quelques héros les ont coupés des autres, les ont émotionnellement isolés de leurs semblables. Gardez à l’esprit qu’ils ne sont pas refermés sur eux-mêmes. Ils peuvent très bien avoir une vie sociale et être heureux dans leur vie actuelle mais ils sont incapables de s’épanouir car ils ne peuvent établir de relations sincères avec les autres.
A la fin de leurs histoires respectives, cependant, ils sont en mesure de se redresser et de déclarer :
J’ai choisi de me définir moi-même en ce que je suis réellement.
Ils ne sont dorénavant plus définis par ce que les autres leur ont fait ou dit.
Habituellement, tous les personnages (et pas seulement les protagonistes) suivent le même thème mais leurs arcs dramatiques personnels ne sont généralement pas semblables voire sans aucun rapport avec celui du héros.
Ils pourraient par exemple ne pas connaître la maturité ou l’individuation que le héros a trouvée comme aboutissement de son voyage.
La plupart du temps, vous aurez un antagoniste.
Michael Hauge préfère employer les termes de Héros et Némésis pour qualifier le personnage principal et son antagoniste. Ce Némésis, au début de l’histoire, a souvent quelques similarités ou points communs avec le héros.
Shrek, par exemple, est vu par Lord Farquaad comme un ogre balourd incapable d’aimer et c’est exactement comme cela que se voit Shrek lui-même. Il partage donc le même sentiment.
Cependant, à la fin de l’histoire, Shrek a changé. Il a évolué et s’est transformé. Lord Farquaad en a été incapable et est resté le même.
Tous deux, Shrek et Lord Farquaad ont malgré tout contribués au thème général du récit.
Le thème n’est cependant pas un message. Un message serait une réponse à comment vivre votre vie dans certaines situations. La nature même du message est réductrice aux situations qu’adresse ce message. Comme cela concerne notre conduite, le message serait davantage une question de morale.
Si vous avez un arc dramatique solide pour votre héros et si le thème est bon, ce dernier atteindra une universalité car il sera bien reçu par le plus grand nombre quelque soit les circonstances dans lesquelles chacun parmi ce plus grand nombre puisse se trouver.
Dans Hôtel Rwanda écrit par Terry George et Keir Pearson, le message est en rapport avec le génocide rwandais de 1994 et est destiné à nous émouvoir et à nous faire prendre position contre cette atrocité. Et c’est une bonne chose qu’une histoire soit capable de faire ceci.
Mais le thème de Hôtel Rwanda est de faire face à l’adversité et de faire ce qui est juste malgré les risques encourus pour soi et ceux qui nous sont proches.
C’est cet arc dramatique que Paul Rusesabagina, le gérant de l’hôtel, suivra au cours de cette histoire.
Vous n’avez probablement pas l’expérience de ce génocide mais tous, nous devons apprendre à faire face à l’adversité et à faire ce qui est juste. C’est une vérité universelle et le thème de cette histoire.
Des thèmes et des cultures différents
Michael Hauge propose ensuite 3 thèmes que l’on retrouve presque systématiquement dans le cinéma américain et un thème plus spécifique au cinéma anglais. Il précise cependant que ces thèmes particuliers à Hollywood ne se retrouvent pas forcément dans le cinéma européen qui soulève d’autres thématiques dues à nos différences culturelles.
Le premier thème est celui de la relation aux autres. L’idée est de ne pas s’isoler des autres, de ne pas se fermer émotionnellement aux autres.
Le second thème porte sur la nécessité d’être soi-même, d’être celui ou celle que vous êtes vraiment et de s’opposer à ce que les autres pensent de ce que vous devez être.
Le troisième thème est que vous devez faire ce qui est juste quelqu’en soit les conséquences.
Pour le quatrième thème, Michael Hauge compare Pretty Woman et Coup de Foudre à Notting Hill.
Pour Coup de Foudre à Notting Hill, ce quatrième thème serait en rapport avec le schisme des classes sociales, un thème qu’il attribue plus facilement à l’Europe via le cinéma anglais.
Dans Pretty Woman, bien que la mise en place de l’histoire nous expose un milliardaire et une prostituée, ce n’est pas la différence sociale qui est montrée.
Le thème porte sur le courage de se dévoiler intimement, sur les risques de se révéler devant un ou une inconnu(e), ce qui correspond au second thème spécifiquement américain proposé par Hauge.
Parmi les catégories de personnages que définit Michael Hauge, on trouve le héros, le némésis mais aussi un type de personnages qu’il nomme Reflection.
Reflection correspond à l’archétype du Sidekick, c’est-à-dire l’acolyte, le complice. Hauge y ajoute les amis (ce qui n’est pas partagé par toutes les théories car le Sidekick pourrait être aussi du côté du méchant de l’histoire).
Les personnages considérés comme Reflection sont donc les Sidekics et les amis qui aident le héros à accomplir son Outer Motivation.
Maintenant, Hauge établit qu’il existe un parallèle thématique entre le héros et son némésis et dans le même mouvement, des différences entre le héros et son reflet (incarné par Reflection).
Le thème alors émergerait à la fois des points communs, des similitudes entre le héros et le némésis et des différences que lui renvoient son reflet.
La fonction de Reflection serait alors non seulement d’appuyer le héros dans sa quête mais de l’aider aussi à prendre conscience de ses peurs, de ses faiblesses, de ses blessures sous lesquelles le thème apparaît en filigrane.
Cependant les personnages qualifiés de Reflection par Michael Hauge ne sont pas à confondre avec le Mentor.
Pour Michael Hauge, l’auteur doit avant tout se concentrer sur l’Outer Motivation. Il ne peut imposer un thème à son récit.
Pour lui, les allégories, les archétypes et les symboles se développeront naturellement de la définition de l’Outer Motivation.
Le thème, quant à lui, est un développement inconscient qui atteint le lecteur sur un plan inconscient.