ROBERT McKEE : STORY VALUES

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Les Story Values sont le moyen qui vous permet de décrire l’arc dramatique de vos personnages, de décrire le changement qui s’opère lentement en eux. Grâce aux Story Values, vous allez pouvoir extraire de chaque conflit la moindre once de passions que le conflit génère.
De notre expérience en tant qu’être humain, de notre existence, nous tirons des valeurs tels que la vie ou la mort, l’espoir ou le désespoir, le libre-arbitre ou la servitude.
Une Story Value est duelle c’est-à-dire que la vie ou la mort, par exemple, constitue une Story Value. La vie seule ou bien la mort seule sont insuffisantes pour créer une Story Value. L’espoir ne se conçoit pas si le désespoir ne peut être connu. L’un se justifie par l’autre. L’espoir ou le désespoir est une Story Value.

Le niveau des Story Values

Chaque Story Value possède un niveau. Elle peut être positive, négative, compromise ou préjudiciable. Les polarités positif/négatif sont les niveaux de Story Value que l’on rencontre le plus souvent.
Dans la Story Value de la vie ou la mort, la vie est positive alors que la mort est négative, du moins dans notre culture.

Le conflit qui se concrétise dans un événement fait appel à des Story Values de niveaux (ou polarités) différents pour s’exprimer. Les Story Events (les événements généralement illustrés par une scène) qui décrivent le conflit (ou du moins un aspect de celui-ci) ont la nécessaire particularité de provoquer un changement chez le personnage.

Ce changement porte sur la polarité de la Story Value, c’est-à-dire que si votre Story Value est positive au début de votre scène (au début du Story Event), elle doit être négative à la fin de la scène ou réciproquement.

Les valeurs qui composent une Story Value sont issues de notre existence et de notre conscience collective. Nous partageons des valeurs identiques avec le héros d’une histoire. La Story Value du courage ou de la lâcheté, par exemple, nous est parfaitement reconnaissable et notre héros doit éprouver tous les niveaux de la Story Value (c’est-à-dire qu’un Story Event doit se conclure soit sur une valeur positive, soit sur une valeur négative) pour que l’histoire dans son ensemble soit satisfaisante.

Des valeurs liées à l’objectif

En choisissant vos Story Events et les Story Values qu’ils intègrent en fonction de l’objectif du personnage principal, vous composerez l’arc dramatique de votre personnage comme autant de points sur une courbe décrivant les différents états émotionnels de votre personnage tout au long de son voyage vers la réalisation de sa quête.

En décrivant les états affectifs de votre personnage en déterminant les différents niveaux des Story Values lors des Story Events, vous justifiez de manière efficace la transfiguration de votre personnage au cours de son aventure (il existe cependant des cas où le héros ne change pas mais permet à un autre personnage d’accomplir sa transformation (ou sa destinée) comme le fait James Bond par exemple).

Il y a donc 4 niveaux de Story Values (Robert McKee emploie le terme de charge). La charge peut être positive, compromise, négative ou préjudiciable.

Une charge positive est la valeur que nous voulons tous expérimenter dans notre vie. Il me semble que Robert McKee a lu Spinoza parce que Spinoza ne dit rien d’autre lorsque nous rencontrons quelque chose que nous apprécions et que cela renforce notre puissance d’agir. Spinoza nomme joie ce que McKee considère comme une charge positive.
C’est lorsque tout va bien et que l’on voit la vie sous son meilleur jour. Des valeurs positives (ne confondez pas valeur et Story Value, la Story Value est constituée de deux valeurs de charges différentes) seraient par exemple : l’amour, la richesse, la justice, la vérité, la santé, la liberté.. Ce sont des concepts qui se traduisent concrètement dans nos vies, qui augmentent notre sensation de la vie en nous et autour de nous.

Lorsque le Story Event se conclut par une Story Value compromise, cela signifie que vous vous trouvez sur une mauvaise pente mais vous n’avez pas encore atteint le fond. Les choses sont effectivement compromises mais tout n’est pas encore perdu. Votre héros peut encore renverser le cours des événements.
Parmi les valeurs qui portent une telle charge, on trouve : l’indifférence, la pauvreté, la traîtrise, la maladie, la contrainte.

Lorsque vous touchez le fond, c’est là que vous entrez dans le territoire des valeurs négatives. Dépressions et dérapages en tous genres se succèdent dans cette gamme.
Ce sont des valeurs destructrices, mais pas les plus destructrices. Il y a pire (même pire que la mort). La haine, la faillite, l’injustice, le mensonge, la mort, l’emprisonnement..  sont des valeurs négatives.

Si les valeurs négatives adviennent lorsque vous touchez le fond, les valeurs préjudiciables apparaissent lorsque ce fond se dérobe sous vos pieds. Vous pourriez avoir envie d’ajouter de la profondeur à vos valeurs négatives telle que : la haine sous couvert de l’amour, des dettes envers un usurier impitoyable, la tyrannie, l’aveuglement malgré des faits accablants, les morts-vivants, les camps de concentration…

Nuancer le conflit

Bien que la plupart du temps, une polarité positif/négatif sera suffisante pour exprimer l’issue d’un conflit, les valeurs compromises et préjudiciables peuvent vous permettre de nuancer l’incidence d’un conflit sur votre personnage.

Illustrons par un exemple.
Notre héros se prénomme Kyle. Son antagoniste est un impitoyable usurier du nom de Rafe. Au début de l’histoire, Kyle est un homme riche. Mais il perd sa fortune. C’est l’incident déclencheur qui va nous amener bientôt à l’acte Deux.

Acte Deux : Kyle est ruiné. Sa petite amie l’a rejeté. Sa maison est mise aux enchères. Les impôts lui réclament des arriérés. De toute évidence, il a de sérieux problèmes. Il essaie toutes sortes de choses pour remonter la pente mais toutes ces tentatives échouent.
Désespéré, il décide d’emprunter de l’argent à Rafe pour aller tout miser à Las Vegas et se refaire une fortune. C’est l’objectif de Kyle. Notez que dans cette histoire, l’objectif du personnage principal est clairement exprimé au point médian du récit (à peu près au milieu de l’acte Deux).

Au début de cet acte Deux, l’objectif de Kyle est de retrouver sa vie d’avant mais la détermination d’emprunter puis de gagner une fortune au casino n’est clairement définie qu’après que l’approche initiale de son problème ait montré ses limites.
Un Story Event adéquat pourrait expliquer les raisons de sa décision d’emprunter et de jouer à Las Vegas en chargeant la Story Value Espoir/Désespoir avec la valeur positive (l’espoir).

On peut aussi trouver faible que le méchant de l’histoire n’intervienne que dans l’acte deux. Cela est certes un mauvais choix. Il aurait été préférable qu’il soit plus ou moins concerné par l’incident déclencheur mais ce que nous tentons d’illustrer ici, ce sont les Story Values. D’autres articles sur la structure pourront être consultés ainsi que notre série d’articles sur William C. Martell.

Kyle ne réussit pas vraiment au casino. Rapidement, il se retrouve à court d’argent. Il n’a pas d’autres solutions que de réemprunter à Rafe qui se montre réticent mais qui finit pas accepter.
Vous constatez que la Story Value Espoir/Désespoir change périodiquement de polarité : Rafe prête l’argent (Positif), Kyle perd l’argent au jeu (Négatif), Rafe lui prête à nouveau de l’argent (Positif). C’est une variation continue d’un pôle à l’autre, de la joie à la tristesse et réciproquement aurait dit Spinoza.

La motivation de Rafe lors de la seconde fois pourrait être aussi mesurée à l’aune d’une Story Value Prudence/Cupidité. La prudence lui aurait dicté de se faire rembourser avant de consentir un autre prêt (ce qui peut expliquer sa réticence) mais la cupidité (appuyée par sa conviction que Kyle perdra tout de toutes façons) l’a incité à accepter ce nouveau prêt.
La dynamique (ou dialectique) qui se joue dans ce Story Event est intéressante car Kyle en ressort armé d’une valeur positive alors que Rafe écope d’une valeur négative (d’ailleurs en harmonie avec sa fonction de méchant de l’histoire).

Kyle perd et ne peut évidemment pas rembourser Rafe. Maintenant, Rafe est activement à sa recherche. Ses intentions sont soit de lui briser les jambes en guise d’intérêts supplémentaires soit carrément de le tuer pour montrer l’exemple.
Kyle n’a pas les moyens de fuir. Il ne sait où aller. Il lui reste un jeton à jouer. Un seul. Alors il le glisse dans une machine à sou et sans attendre le résultat commence à se lever pour sortir du casino.

En se retournant, il aperçoit de l’autre côté de la salle Rafe et ses hommes de main qui bloquent les issues.
Rafe s’approche de lui avec un air qui ne laisse aucun doute sur ses intentions. Kyle, commençant à paniquer, cherche du regard un moyen de fuir.

Nous atteignons avec cette scène le climax de l’histoire. Nous avons commencé avec un Kyle riche, un statu quo de sa vie extrêmement positif au moment où nous avons fait sa connaissance. Puis les valeurs sont devenues de plus en plus négatives avec quelques sursauts positifs mais qui, en fin de compte, l’ont leurré sur ses espérances.
Il suffit d’étoffer avec des rebondissements, une B Story (le problème avec la petite amie de Kyle, par exemple) et une caractérisation plus poussée des personnages pour que l’histoire se tienne.

La résolution des problèmes

Maintenant, le troisième acte. Cet acte amène la résolution des problèmes. Nous avons trois possibilités, trois chemins possibles pour la fin du voyage de Kyle : une Happy End, un désastre ou de l’ironie.

Si nous optons pour le Happy End, alors que Rafe approche menaçant, la main à l’intérieur de son veston probablement sur son revolver, la machine à sous dans laquelle Kyle avait glissé son dernier jeton en un geste désespéré se met à s’animer vivement et bruyamment.

  1. Rafe s’arrête net, surpris. Kyle se retourne médusé vers la machine. Il vient de gagner 2 millions de dollars.
  2. Rafe retrouve le sourire et s’approchant calmement lui dit : Félicitations !
  3. Kyle a atteint son objectif. Il est redevenu riche grâce au jeu.

Si votre thème est de dénoncer les risques d’une dépendance puisque notre histoire ne porte pas spécifiquement sur les dangers d’une addiction aux jeux mais d’une manière globale sur toutes sortes de dépendances (l’histoire illustre le thème), vous pourriez souhaiter que Kyle ne trouve pas le repos ou bien que sa rédemption passe par sa disparition.
La menace est de plus en plus pesante au fur et à mesure que Rafe s’approche de Kyle. Les hommes de main de Rafe entourent Kyle. Derrière Kyle, la machine à sous émet le bruit qu’il a trop souvent entendu ces dernières heures, il a perdu.
« Tu as eu ta chance, Kyle » lui dit Rafe.
« Maintenant, nous allons aller faire un petit tour »
Les hommes de Rafe saisissent Kyle par les bras et l’entraîne sans réaction de celui-ci dans la nuit.

Si vous ne souhaitez pas donner un tour trop sombre à votre histoire mais cependant conserver votre thème, vous auriez la possibilité de résoudre le problème de Kyle de manière ironique.
Au lieu de remporter 2 millions de dollars, Kyle gagne 200 000 dollars. Il peut rembourser les 120 000 dollars qu’il doit à Rafe et essayer de repartir sur de bonnes bases dans les affaires avec les 80 000 dollars restant.

  1. Rafe se rendant compte de la situation esquisse un léger sourire.
  2. Kyle est soulagé et peut raisonnablement essuyer la sueur qui perle sur son front. il est débarrassé de Rafe.
  3. A ce moment, un homme au visage sévère s’approche de Kyle, se présente comme inspecteur des impôts et réclame les 80 000 dollars pour épurer les arriérés que Kyle devaient aux impôts.
  4. Le sourire de Rafe s’élargit.
Au service de la tension

La fonction des Story Values est donc primordiale. Elles déterminent l’intensité du conflit qui se joue à un moment donné. En effet, tous les conflits n’ont pas la même importance en terme d’effets sur le personnage principal. Généralement, ils s’intensifient jusqu’au climax. La Story Value mise en œuvre dans un conflit permet de mettre en évidence l’enjeu particulier du conflit et la hauteur de cet enjeu.

Elle permet d’expliquer les motivations des protagonistes et d’induire les liens de causalité entre elles et les actions qui en découlent.
La dynamique des Story Values (leur capacité à modifier leur charge comme le ferait un interrupteur) permet de créer de la tension. La tension s’accumule jusqu’au climax et là, en un dernier acte, elle se résorbe créant chez le lecteur un sentiment d’euphorie, un sentiment positif.

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